Vers la fin de sa vie longue et mouvementée, en 1402, l'illustre historien arabe Ibn Khaldun s'est rendu à Damas. Il nous laisse une description du siège de la ville par Tamerlan et de sa rencontre avec le conquérant du monde. Aucun d'entre nous n'est Ibn Khaldun, mais tout historien arabe qui observe aujourd'hui les révolutions arabes de 2011 éprouve le sentiment de respect mêlé d'admiration que notre ancêtre a dû ressentir tandis qu'il assistait à un grand tournant dans les affaires du monde.
Rashid Khalidi
Vendredi 25 Mars 2011
Article original en anglais
Ce moment est sans précédent dans l'histoire arabe moderne. Soudain, des régimes despotiques enracinés depuis quarante ans et plus semblent vulnérables. Deux d'entre eux - à Tunis puis au Caire - se sont effondrés sous nos yeux en quelques semaines. A Tripoli et à Sanaa, ils luttent pour leur survie. Les vieillards qui dominent les autre font tout d'un coup leur âge, et la distance entre eux et la plus grande partie de leurs populations, nées des décennies après eux, n'a jamais été aussi grande. Une situation politique apparemment gelée a fondu en une nuit dans la chaleur du soulèvement populaire qui a commencé en Tunisie et en Égypte et qui maintenant se répand. Nous avons tous le privilège de vivre un moment historique mondial tandis que des vérités figées disparaissent et que des potentiels et des forces nouvelles émergent. Peut-être qu'un jour, certains d'entre nous pourront dire, comme Wordsworth au sujet de la Révolution française, "Quel bonheur en cette aurore-là d'être en vie, mais être jeune était divin ! "
Jusqu'à maintenant, ces révolutions ont été principalement modelées par des gens ordinaires exigeant pacifiquement la liberté, la dignité, la démocratie, la justice sociale, la responsabilisation, la transparence et la primauté du droit. La jeunesse arabe a montré en fin de compte que ses espoirs et ses idéaux étaient semblables à ceux des jeunes gens qui ont aidé à faire émerger des transitions démocratiques en Europe de l'Est, en Amérique latine et du sud, en Asie du sud-est et de l'est. Ces voix n'ont été une révélation que pour ceux qui ont été bernés par la propagande des régimes arabes eux-mêmes, ou par la focalisation obsessionnelle des médias occidentaux sur le fondamentalisme islamique et le terrorisme dès qu'ils traitent du Moyen-Orient. C'est donc un moment d'une importance suprême non seulement pour le monde arabe, mais aussi pour la perception qu'ont les autres sur les Arabes. Un peuple qui a été systématiquement dénigré en Occident pendant des décennies est, pour la première fois, montré sous un jour positif.
Rien n'a encore été décidé dans ces révolutions arabes. Et les taches les plus complexes sont encore à venir. Il était difficile de renverser un tyran hors d'atteinte et sa famille cupide, que ce soit à Tunis ou au Caire. Changer le régime et construire un système démocratique viable sera beaucoup plus dur. Et ce sera encore plus dur de veiller à ce qu'un système démocratique, s'il peut être établi, ne soit pas dominé par des intérêts implantés puissants. Enfin, ce sera une tâche ardue pour tout nouveau régime populaire démocratique de parvenir à la justice sociale et à la croissance économique rapide qui seront nécessaires pour offrir des chances égales, une éducation de qualité, des emplois, des logements décents et une infrastructure vitale, des services que les anciens régimes n'ont pas apporté : le nombre d’Égyptiens vivant avec moins de 2$/jour est passé de 39 à 43% pendant la dernière décennie de pouvoir de Moubarak. Un échec sur l'une de ces tâches pourrait bien conduire à un retour des forces tapies de la réaction et de la répression, et la contre-révolution arabe est bien sûr active en Libye, au Bahreïn et ailleurs. Un échec sur ces missions pourrait aussi favoriser les tendances violentes qui prospèrent dans des situations de chaos et de désordre, comme celles que l'occupation américaine de l'Irak a déchaînées. Et nous ne devons jamais oublier que le Moyen-Orient est la région la plus convoitée au monde et celle où les intérêts étrangers ont le plus pénétré. Elle est vulnérable, et elle l'a été dans toute son histoire, aux interventions extérieurs qui pourraient facilement fausser les résultats.
Néanmoins, ce qui a commencé en Tunisie et au Caire a ouvert des horizons longtemps bouchés. L'énergie, le dynamisme et l'intelligence de la jeune génération du monde arabe ont été libérés, après avoir été endigués par un système qui les traitait avec mépris, et qui concentrait le pouvoir dans les mains d'une génération bien plus âgée. Apparemment sortis de nulle part, des jeunes gens ont acquis une confiance, une assurance et un courage qui ont fait trembler des régimes d’État policier redoutables qui semblaient invincibles.
Ce vague révolutionnaire est-elle vraiment sans précédent ? Le monde arabe a été le théâtre de soulèvements et de révoltes dans toute son histoire moderne. Pendant l'occupation française, la population du Caire s'est révoltée maintes fois, libérant brièvement la ville des Français en 1800. L’Égypte s'est à nouveau révoltée contre le pouvoir étranger jusqu'à 1882 ; elle s'est révoltée à nouveau contre les Britanniques lors de la grande révolution de 1919, et à nouveau en 1952. Pendant la révolte syrienne de 1925-26, les Français ont été chassés de la presque totalité de Damas, et ont sauvagement bombardé la ville. Des exemples similaires abondent ailleurs. La résistance libyenne contre les Italiens a débuté en 1911 et s'est poursuivie pendant 20 ans, la grande révolution irakienne de 1920, celle du Maroc en 1925-26, la révolte palestinienne de 1936-39, toutes ont provoqué des campagnes coloniales féroces. Ces épisodes ont marqué le début d'un chapitre sombre de l'histoire humaine : l'utilisation de bombardements aériens contre des civils, pour la première fois, en Libye en 1911, et l'utilisation de gaz toxiques contre des civils en Irak en 1920.
Qu'est-ce qui, jusqu'à maintenant, distingue les soulèvements révolutionnaires que nous observons dans tout le monde arabe de leurs nombreux prédécesseurs ? Une des distinctions apparentes est qu'en Tunisie, en Égypte, au Bahreïn et dans plusieurs autres pays, ils ont été largement pacifiques : “silmiyya, silmiyya”, chantaient la foule de la Place Tahrir. Mais tels furent beaucoup des grands soulèvement arabes du passé, comme de nombreux épisodes dans les longues luttes d’Égypte et d'Irak pour mettre fin à l'occupation militaire britannique, et ceux de Syrie, du Liban, du Maroc et de Tunisie pour mettre fin à celle de la France, sans parler de la première Intifada palestinienne contre l'occupation israélienne, de 1987 à 1991. Alors que des tactiques de non violence ont été largement utilisées dans les soulèvements récents en Égypte et ailleurs, ce n'est en aucun cas la première fois que des soulèvements arabes ont été largement non violents, ou du moins non armés.
On a également dit que ce qui distingue ces révolutions des précédentes dans le monde arabe et ailleurs au Moyen-Orient est qu'elles sont axées sur la démocratie et le changement de constitution. Il est vrai que cela fait partie des exigences les plus centrales. Mais ceci n'est pas non plus sans précédent. Il y a eu une effervescence constitutionnelle soutenue en Tunisie et en Égypte dans les années 1870, jusqu'aux occupations britannique et française de ces pays en 1881 et 1882. Des débats similaires ont conduit à l'établissement d'une constitution dans l'Empire ottoman en 1876 qui a duré sans interruption jusqu'à 1918. Tous les États successeurs de l'Empire ottoman ont été profondément influencés par cette expérience constitutionnelle. En 1906, l'Iran a établi un régime constitutionnel, bien qu'il ait été maintes fois éclipsé. Dans l'entre-deux guerres et par la suite, les pays semi-indépendants et indépendants du Moyen-Orient ont principalement été gouvernés par des régimes constitutionnels.
Ce furent toutes des expériences imparfaitement constitutionnelles, qui ont rencontré des obstacles massifs sous la forme d'intérêts établis, de penchants autocratiques des gouvernants et d'analphabétisme et de pauvreté de masse. En fin de compte, ils ont résolu peu des problèmes que rencontraient leurs sociétés. Mais les échecs à établir des régimes constitutionnels stables n'étaient pas seulement dus à ces facteurs internes. Ils étaient également dus au fait que ces gouvernements ont été systématiquement torpillés par les puissances occidentales, dont les ambitions ont été souvent mises à mal par des parlements démocratiques et une opinion publique et une presse naissantes qui revendiquaient la souveraineté nationale et un partage équitable de leurs propres ressources. Depuis la fin du 19ème siècle, ce modèle s'est constamment répété. Loin de soutenir le pouvoir démocratique au Moyen-Orient, les puissances occidentales l'ont généralement miné, préférant traiter avec des autocrates malléables et faibles soumis à leurs exigences et ont conspiré avec les élites locales antidémocratiques.
Ce n'est donc pas la nature démocratique des soulèvements révolutionnaires de 2011 qui fait qu'ils sont sans précédent. Au contraire, les révolutions qui ont eu lieu de 1800 aux années 1950 visaient principalement la fin d'une occupation étrangère. Ces révolutions de libération nationale ont finalement réussi à expulser les anciennes puissances coloniales et leurs bases militaires haïes dans la plus grande partie du monde arabe, et elles ont produit des régimes nationalistes dans la plupart des pays arabes. Ceux d'Algérie, de Libye, du Soudan, de Syrie et du Yémen continuent de s'agripper au pouvoir. Celui d'Irak a été démantelé par une invasion et une occupation qui ont dévasté le pays. Il n'y a jusqu'à maintenant qu'en Tunisie et en Égypte que de tels régimes ont été dégagés par leurs peuples, un résultat qui est loin d'être garanti.
Ce qui distingue les révolutions de 2011 des précédentes est qu'elles marquent la fin de l'ancienne phase de libération nationale de la domination coloniale, et qu'elles sont largement centrées sur les problèmes des sociétés arabes. Bien sûr, avec la guerre froide, l'ancien colonialisme a fini par ouvrir la voie à une forme plus insidieuse d'influence extérieure, d'abord des deux super-puissances, puis, pendant les deux dernières décennies, des seuls États-Unis. L'ensemble du système régional arabe a été soutenu par cette hyper-puissance, dont le soutien était crucial pour la survie de la plupart des régimes dictatoriaux tremblants aujourd'hui sous la contestation de leurs peuples. Mais tandis que ce facteur important était toujours à l'arrière-plan, la focalisation des révolutions de 2011 a été mis sur les problèmes internes de démocratie, de constitution et d'égalité.
Il y a cependant une autre exigence, en 2011. C'est celle de la dignité. Et il faut entendre cela en deux sens : la dignité en tant qu'individu, et la dignité en tant que collectif, peuple et nation. L'exigence de dignité individuelle est aisément compréhensible. Face à des États policiers effrayants qui écrasent l'individu, une telle exigence était naturelle. Les infractions incessantes de ces États autoritaires sur la dignité de presque chaque citoyen arabe, et les affirmations constantes de leurs dirigeants de leur nullité, avaient fini par être intériorisées et par produire une haine de soi envahissante et un malaise social invalidant. Ceci s'est manifesté entre autres dans des tensions partisanes, le harcèlement sexuel fréquent des femmes, la criminalité, la consommation de drogues, une incivilité corrosive et le manque d'esprit public.
Une des pires attitudes des régimes arabes autoritaires, au-delà de leur déni de la dignité des individus, fut le mépris que les dirigeants ont affiché pour leurs populations. Selon eux, le peuple était immature, dangereux et inapte à la démocratie. Le ton condescendant et patriarcal de Moubarak dans ses derniers discours caractérisait parfaitement tous ces régimes : nous entendons le même ton de la part de Qaddafi dans ses divagations, et de la part des rois et des présidents à vie dans les autres États arabes. Seul Qaddafi dit tout haut ce que pensent les autres dirigeants : que leurs peuples sont facilement floués et trompés, qu'en fait ils n'ont aucune dignité.
Ceci nous amène à l'exigence de dignité collective que les révolutions de 2011 ont aussi porté haut. L'absence de sentiment de dignité collective arabe est liée à la situation de cette région, l'une des rares à ne pas avoir été touchée par les transitions démocratiques qui ont balayé d'autres parties du monde à la fin du 20ème siècle. Soudain, les Arabes ont prouvé qu'ils n'étaient pas différents des autres. Cesrévolutions ont engendré un sentiment de dignité collective qui s'est reflété dans la fierté des Tunisiens et des Égyptiens après la chute de leurs tyrans respectifs. "Levez la tête. Vous êtes Égyptiens !" chantait la foule à Tahrir. C'était la dignité collective du peuple égyptien, et avec lui celle du peuple arabe tout entier, qui était invoquée.
Ceci se rapporte à la question du rôle des États-Unis et de son protégé gâté, son client et son homme de main dans la région, Israël. Alors qu'il a été peu fait mention du sujet tabou dans l'effervescence populaire des révolutions de 2011, il a toujours été présent en arrière-plan. De même le fait que les États policiers arabes aient bénéficié de l'équipement haut de gamme et d'un entraînement poussé dans les meilleurs centres des États-Unis et d'Europe. Les grenades lacrymogènes américaines ont copieusement servi contre les protestataires pacifiques à Tunis et au Caire, comme elles sont systématiquement utilisées depuis des années contre les Palestiniens manifestant dans des villages comme Bil'in en Cisjordanie . Les voyous de Ben 'Ali et de Moubarak étaient en excellents termes avec les services secrets des États-Unis et des pays européens. Le soutien occidental pour la "stabilité" signifie en réalité le soutien à la répression, à la corruption, au mépris des exigences populaires et à la subversion de la démocratie. Il signifie aussi la subordination des pays arabes aux diktats de la politique des États-Unis et aux exigences d'Israël. L'exigence de dignité collective est un appel à mettre fin à cette situation artificielle.
Les révolutions arabes de 2011 soulèvent de nombreuses questions. Après une nuit apparemment sans fin, un esprit de libération a surgi dans le monde arabe. Il est impossible de dire si elles pourront être suffisamment durables pour surmonter les problèmes structurels embarrassants des pays arabes, et pour vaincre les forces réactionnaires qui veulent préserver le statu quo. Bien que les élites enracinées en Tunisie et en Égypte aient été secouées par la vague révolutionnaire, elles ne cèderont pas facilement leurs privilèges. De plus, d'autres élites toujours au pouvoir feront tout ce qu'elles pourront pour arrêter cette vague dans toute la région.
Une question connexe est de savoir si ce qui a débuté en Tunisie et en Égypte a le potentiel pour renverser les autres tyrans arabes. Malgré toutes les similitudes entre les régimes, chaque pays arabe est différent des autres. Les populations de plusieurs d'entre eux, notamment la Jordanie, l'Algérie, le Yémen, le Bahreïn et l'Irak, sont moins homogènes que celles d'Égypte ou de Tunisie, avec d'importants clivages ethniques, régionaux ou religieux que les dirigeants peuvent exploiter pour diviser et régner. Et dans certains cas, à savoir en Algérie, en Irak et en Jordanie, les souvenirs de guerres civiles sanglantes qui ont, dans un passé relativement récent, déchiré ces sociétés peuvent faire hésiter les populations. Les forces réactionnaires manœuvrent tous ces facteurs tandis qu'elles opèrent à travers les frontières pour maintenir les systèmes antidémocratiques et discriminatoires, que ce soit au Bahreïn ou ailleurs.
Néanmoins, le nouveau souffle partout dans le monde arabe a été contagieux, et des exigences de démocratie et de limites constitutionnelles sur les pouvoirs des dirigeants qui ont commencé en Tunisie et en Égypte émergent maintenant au Maroc, en Algérie, au Soudan, en Jordanie, en Syrie, au Yémen, en Irak et dans les pays du Golfe. On entend maintenant partout, de l'Atlantique au Golfe, le slogan lancé d'abord par les révolutionnaires tunisiens et égyptiens : “Al-sha’b yurid isqat al-nizam” (“Le peuple veut la chute du régime”).
Quelque soit le résultat, ces événements sont une confirmation spectaculaire non seulement des aspirations communes à la liberté et à la dignité de toute une génération de jeunes Arabes, mais aussi de l'existence d'une sphère publique arabe commune. Bien qu'on la doive beaucoup aux médias modernes, c'est une erreur de trop se focaliser sur les détails technologiques, que ce soit Facebook, Twitter, les téléphones cellulaires ou la télévision par satellite. Cet espace public commun existait par le passé, qui s'appuyait sur les formes antérieures de technologie, que ce soit la presse papier ou la radio. Comme avec toutes les révolutions, celle-ci est le résultat non pas de la technologie mais de nombreuses années de luttes incessantes des syndicats de travailleurs, de groupes de femmes, d'activistes des droits de l'homme, d'islamistes, d'intellectuels, de militants pour la démocratie et beaucoup d'autres qui ont chèrement payé leurs convictions. S'il y a quoique ce soit de nouveau, ce sont les formes d'organisation non hiérarchisées et en réseau qui se sont développées parmi beaucoup de ces groupes.
La dernière question que soulèvent les révolutions arabes est celle du rôle des puissances occidentales dans la défense du statu quo arabe pourri. Les États-Unis ont toujours été déchirés, en matière de politique étrangère, entre leurs principes, dont le soutien à la démocratie, et leurs intérêts, dont le soutien de dictateurs à leur botte. Quand il y a peu de contrôle public, la dernière impulsion prédomine dans la politique US au Moyen-Orient. Aujourd'hui, avec les médias américains qui rapportent des histoires de jeunes Arabes charismatiques renversant des dictateurs détestés et appelant à la démocratie dans un anglais impeccable, le public américain observe, et Washington a répondu en soutenant timidement une transition démocratique, et en appelant faiblement à la retenue ses autres clients arabes dans la répression de leurs peuples. Le rôle des intérêts sordides s'est aussitôt réaffirmé dans la politique US au Bahreïn et en Libye, qui ont été traités différemment l'un de l'autre, et par rapport à d'autres pays arabes témoins de bouleversements.
Ce nouveau moment au Moyen-Orient rendra plus difficile la vieille approche "les-affaires-continuent" à Washington, à Tel Aviv et dans les capitales arabe. Le régime Moubarak était un pilier central de la domination régionale tant américaine qu'israélienne, et il sera difficile sinon impossible de le remplacer. Les autres dirigeants arabes absolus, même s'ils s'arrangent pour rester au pouvoir, ne peuvent plus ignorer l'opinion publique comme ils l'ont toujours fait par le passé. Que cela signifie de suivre servilement Washington dans sa guerre froide contre l'Iran, ou de protéger Israël contre toute pression lorsqu'il colonise la terre palestinienne et ancre son occupation, ces politiques impopulaires de la plupart des gouvernements arabes seront plus difficiles à maintenir. La contribution systématique de l'opinion publique dans l'élaboration de la politique étrangère des États arabes n'est pas pour tout de suite. Mais on peut raisonnablement espérer que le temps où les dirigeants arabes pouvaient ignorer leur opinion publique et courtiser Israël pendant qu'il brutalisait les Palestiniens est révolu.
Personne à Washington ne peut compter sur la complaisance et la soumission envers Israël et les États-Unis, qui était une des caractéristiques principales de l'ordre arabe en stagnation et qui est en train d'être contesté dans toute la région. Ce qui le remplacera sera déterminé dans les rues, comme dans les cafés internet, les salles des syndicats, les bureaux des journaux, les groupes de femmes et les domiciles de millions de jeunes Arabes. Ils ont annoncé qu'ils ne tolèreraient plus d'être traités avec le mépris que leurs gouvernements leur ont montré tout au long de leur vie. Ils nous ont tous prévenus : "Le peuple veut la chute du régime." Ils veulent dire par là les régimes de chacun des pays arabes qui ont volé leur dignité aux citoyens. Ils veulent aussi dire un régime régional dont la pierre angulaire fut une soumission humiliante aux diktats des États-Unis et d'Israël, et qui a volé à tous les Arabes leur dignité collective.
Ce moment est sans précédent dans l'histoire arabe moderne. Soudain, des régimes despotiques enracinés depuis quarante ans et plus semblent vulnérables. Deux d'entre eux - à Tunis puis au Caire - se sont effondrés sous nos yeux en quelques semaines. A Tripoli et à Sanaa, ils luttent pour leur survie. Les vieillards qui dominent les autre font tout d'un coup leur âge, et la distance entre eux et la plus grande partie de leurs populations, nées des décennies après eux, n'a jamais été aussi grande. Une situation politique apparemment gelée a fondu en une nuit dans la chaleur du soulèvement populaire qui a commencé en Tunisie et en Égypte et qui maintenant se répand. Nous avons tous le privilège de vivre un moment historique mondial tandis que des vérités figées disparaissent et que des potentiels et des forces nouvelles émergent. Peut-être qu'un jour, certains d'entre nous pourront dire, comme Wordsworth au sujet de la Révolution française, "Quel bonheur en cette aurore-là d'être en vie, mais être jeune était divin ! "
Jusqu'à maintenant, ces révolutions ont été principalement modelées par des gens ordinaires exigeant pacifiquement la liberté, la dignité, la démocratie, la justice sociale, la responsabilisation, la transparence et la primauté du droit. La jeunesse arabe a montré en fin de compte que ses espoirs et ses idéaux étaient semblables à ceux des jeunes gens qui ont aidé à faire émerger des transitions démocratiques en Europe de l'Est, en Amérique latine et du sud, en Asie du sud-est et de l'est. Ces voix n'ont été une révélation que pour ceux qui ont été bernés par la propagande des régimes arabes eux-mêmes, ou par la focalisation obsessionnelle des médias occidentaux sur le fondamentalisme islamique et le terrorisme dès qu'ils traitent du Moyen-Orient. C'est donc un moment d'une importance suprême non seulement pour le monde arabe, mais aussi pour la perception qu'ont les autres sur les Arabes. Un peuple qui a été systématiquement dénigré en Occident pendant des décennies est, pour la première fois, montré sous un jour positif.
Rien n'a encore été décidé dans ces révolutions arabes. Et les taches les plus complexes sont encore à venir. Il était difficile de renverser un tyran hors d'atteinte et sa famille cupide, que ce soit à Tunis ou au Caire. Changer le régime et construire un système démocratique viable sera beaucoup plus dur. Et ce sera encore plus dur de veiller à ce qu'un système démocratique, s'il peut être établi, ne soit pas dominé par des intérêts implantés puissants. Enfin, ce sera une tâche ardue pour tout nouveau régime populaire démocratique de parvenir à la justice sociale et à la croissance économique rapide qui seront nécessaires pour offrir des chances égales, une éducation de qualité, des emplois, des logements décents et une infrastructure vitale, des services que les anciens régimes n'ont pas apporté : le nombre d’Égyptiens vivant avec moins de 2$/jour est passé de 39 à 43% pendant la dernière décennie de pouvoir de Moubarak. Un échec sur l'une de ces tâches pourrait bien conduire à un retour des forces tapies de la réaction et de la répression, et la contre-révolution arabe est bien sûr active en Libye, au Bahreïn et ailleurs. Un échec sur ces missions pourrait aussi favoriser les tendances violentes qui prospèrent dans des situations de chaos et de désordre, comme celles que l'occupation américaine de l'Irak a déchaînées. Et nous ne devons jamais oublier que le Moyen-Orient est la région la plus convoitée au monde et celle où les intérêts étrangers ont le plus pénétré. Elle est vulnérable, et elle l'a été dans toute son histoire, aux interventions extérieurs qui pourraient facilement fausser les résultats.
Néanmoins, ce qui a commencé en Tunisie et au Caire a ouvert des horizons longtemps bouchés. L'énergie, le dynamisme et l'intelligence de la jeune génération du monde arabe ont été libérés, après avoir été endigués par un système qui les traitait avec mépris, et qui concentrait le pouvoir dans les mains d'une génération bien plus âgée. Apparemment sortis de nulle part, des jeunes gens ont acquis une confiance, une assurance et un courage qui ont fait trembler des régimes d’État policier redoutables qui semblaient invincibles.
Ce vague révolutionnaire est-elle vraiment sans précédent ? Le monde arabe a été le théâtre de soulèvements et de révoltes dans toute son histoire moderne. Pendant l'occupation française, la population du Caire s'est révoltée maintes fois, libérant brièvement la ville des Français en 1800. L’Égypte s'est à nouveau révoltée contre le pouvoir étranger jusqu'à 1882 ; elle s'est révoltée à nouveau contre les Britanniques lors de la grande révolution de 1919, et à nouveau en 1952. Pendant la révolte syrienne de 1925-26, les Français ont été chassés de la presque totalité de Damas, et ont sauvagement bombardé la ville. Des exemples similaires abondent ailleurs. La résistance libyenne contre les Italiens a débuté en 1911 et s'est poursuivie pendant 20 ans, la grande révolution irakienne de 1920, celle du Maroc en 1925-26, la révolte palestinienne de 1936-39, toutes ont provoqué des campagnes coloniales féroces. Ces épisodes ont marqué le début d'un chapitre sombre de l'histoire humaine : l'utilisation de bombardements aériens contre des civils, pour la première fois, en Libye en 1911, et l'utilisation de gaz toxiques contre des civils en Irak en 1920.
Qu'est-ce qui, jusqu'à maintenant, distingue les soulèvements révolutionnaires que nous observons dans tout le monde arabe de leurs nombreux prédécesseurs ? Une des distinctions apparentes est qu'en Tunisie, en Égypte, au Bahreïn et dans plusieurs autres pays, ils ont été largement pacifiques : “silmiyya, silmiyya”, chantaient la foule de la Place Tahrir. Mais tels furent beaucoup des grands soulèvement arabes du passé, comme de nombreux épisodes dans les longues luttes d’Égypte et d'Irak pour mettre fin à l'occupation militaire britannique, et ceux de Syrie, du Liban, du Maroc et de Tunisie pour mettre fin à celle de la France, sans parler de la première Intifada palestinienne contre l'occupation israélienne, de 1987 à 1991. Alors que des tactiques de non violence ont été largement utilisées dans les soulèvements récents en Égypte et ailleurs, ce n'est en aucun cas la première fois que des soulèvements arabes ont été largement non violents, ou du moins non armés.
On a également dit que ce qui distingue ces révolutions des précédentes dans le monde arabe et ailleurs au Moyen-Orient est qu'elles sont axées sur la démocratie et le changement de constitution. Il est vrai que cela fait partie des exigences les plus centrales. Mais ceci n'est pas non plus sans précédent. Il y a eu une effervescence constitutionnelle soutenue en Tunisie et en Égypte dans les années 1870, jusqu'aux occupations britannique et française de ces pays en 1881 et 1882. Des débats similaires ont conduit à l'établissement d'une constitution dans l'Empire ottoman en 1876 qui a duré sans interruption jusqu'à 1918. Tous les États successeurs de l'Empire ottoman ont été profondément influencés par cette expérience constitutionnelle. En 1906, l'Iran a établi un régime constitutionnel, bien qu'il ait été maintes fois éclipsé. Dans l'entre-deux guerres et par la suite, les pays semi-indépendants et indépendants du Moyen-Orient ont principalement été gouvernés par des régimes constitutionnels.
Ce furent toutes des expériences imparfaitement constitutionnelles, qui ont rencontré des obstacles massifs sous la forme d'intérêts établis, de penchants autocratiques des gouvernants et d'analphabétisme et de pauvreté de masse. En fin de compte, ils ont résolu peu des problèmes que rencontraient leurs sociétés. Mais les échecs à établir des régimes constitutionnels stables n'étaient pas seulement dus à ces facteurs internes. Ils étaient également dus au fait que ces gouvernements ont été systématiquement torpillés par les puissances occidentales, dont les ambitions ont été souvent mises à mal par des parlements démocratiques et une opinion publique et une presse naissantes qui revendiquaient la souveraineté nationale et un partage équitable de leurs propres ressources. Depuis la fin du 19ème siècle, ce modèle s'est constamment répété. Loin de soutenir le pouvoir démocratique au Moyen-Orient, les puissances occidentales l'ont généralement miné, préférant traiter avec des autocrates malléables et faibles soumis à leurs exigences et ont conspiré avec les élites locales antidémocratiques.
Ce n'est donc pas la nature démocratique des soulèvements révolutionnaires de 2011 qui fait qu'ils sont sans précédent. Au contraire, les révolutions qui ont eu lieu de 1800 aux années 1950 visaient principalement la fin d'une occupation étrangère. Ces révolutions de libération nationale ont finalement réussi à expulser les anciennes puissances coloniales et leurs bases militaires haïes dans la plus grande partie du monde arabe, et elles ont produit des régimes nationalistes dans la plupart des pays arabes. Ceux d'Algérie, de Libye, du Soudan, de Syrie et du Yémen continuent de s'agripper au pouvoir. Celui d'Irak a été démantelé par une invasion et une occupation qui ont dévasté le pays. Il n'y a jusqu'à maintenant qu'en Tunisie et en Égypte que de tels régimes ont été dégagés par leurs peuples, un résultat qui est loin d'être garanti.
Ce qui distingue les révolutions de 2011 des précédentes est qu'elles marquent la fin de l'ancienne phase de libération nationale de la domination coloniale, et qu'elles sont largement centrées sur les problèmes des sociétés arabes. Bien sûr, avec la guerre froide, l'ancien colonialisme a fini par ouvrir la voie à une forme plus insidieuse d'influence extérieure, d'abord des deux super-puissances, puis, pendant les deux dernières décennies, des seuls États-Unis. L'ensemble du système régional arabe a été soutenu par cette hyper-puissance, dont le soutien était crucial pour la survie de la plupart des régimes dictatoriaux tremblants aujourd'hui sous la contestation de leurs peuples. Mais tandis que ce facteur important était toujours à l'arrière-plan, la focalisation des révolutions de 2011 a été mis sur les problèmes internes de démocratie, de constitution et d'égalité.
Il y a cependant une autre exigence, en 2011. C'est celle de la dignité. Et il faut entendre cela en deux sens : la dignité en tant qu'individu, et la dignité en tant que collectif, peuple et nation. L'exigence de dignité individuelle est aisément compréhensible. Face à des États policiers effrayants qui écrasent l'individu, une telle exigence était naturelle. Les infractions incessantes de ces États autoritaires sur la dignité de presque chaque citoyen arabe, et les affirmations constantes de leurs dirigeants de leur nullité, avaient fini par être intériorisées et par produire une haine de soi envahissante et un malaise social invalidant. Ceci s'est manifesté entre autres dans des tensions partisanes, le harcèlement sexuel fréquent des femmes, la criminalité, la consommation de drogues, une incivilité corrosive et le manque d'esprit public.
Une des pires attitudes des régimes arabes autoritaires, au-delà de leur déni de la dignité des individus, fut le mépris que les dirigeants ont affiché pour leurs populations. Selon eux, le peuple était immature, dangereux et inapte à la démocratie. Le ton condescendant et patriarcal de Moubarak dans ses derniers discours caractérisait parfaitement tous ces régimes : nous entendons le même ton de la part de Qaddafi dans ses divagations, et de la part des rois et des présidents à vie dans les autres États arabes. Seul Qaddafi dit tout haut ce que pensent les autres dirigeants : que leurs peuples sont facilement floués et trompés, qu'en fait ils n'ont aucune dignité.
Ceci nous amène à l'exigence de dignité collective que les révolutions de 2011 ont aussi porté haut. L'absence de sentiment de dignité collective arabe est liée à la situation de cette région, l'une des rares à ne pas avoir été touchée par les transitions démocratiques qui ont balayé d'autres parties du monde à la fin du 20ème siècle. Soudain, les Arabes ont prouvé qu'ils n'étaient pas différents des autres. Cesrévolutions ont engendré un sentiment de dignité collective qui s'est reflété dans la fierté des Tunisiens et des Égyptiens après la chute de leurs tyrans respectifs. "Levez la tête. Vous êtes Égyptiens !" chantait la foule à Tahrir. C'était la dignité collective du peuple égyptien, et avec lui celle du peuple arabe tout entier, qui était invoquée.
Ceci se rapporte à la question du rôle des États-Unis et de son protégé gâté, son client et son homme de main dans la région, Israël. Alors qu'il a été peu fait mention du sujet tabou dans l'effervescence populaire des révolutions de 2011, il a toujours été présent en arrière-plan. De même le fait que les États policiers arabes aient bénéficié de l'équipement haut de gamme et d'un entraînement poussé dans les meilleurs centres des États-Unis et d'Europe. Les grenades lacrymogènes américaines ont copieusement servi contre les protestataires pacifiques à Tunis et au Caire, comme elles sont systématiquement utilisées depuis des années contre les Palestiniens manifestant dans des villages comme Bil'in en Cisjordanie . Les voyous de Ben 'Ali et de Moubarak étaient en excellents termes avec les services secrets des États-Unis et des pays européens. Le soutien occidental pour la "stabilité" signifie en réalité le soutien à la répression, à la corruption, au mépris des exigences populaires et à la subversion de la démocratie. Il signifie aussi la subordination des pays arabes aux diktats de la politique des États-Unis et aux exigences d'Israël. L'exigence de dignité collective est un appel à mettre fin à cette situation artificielle.
Les révolutions arabes de 2011 soulèvent de nombreuses questions. Après une nuit apparemment sans fin, un esprit de libération a surgi dans le monde arabe. Il est impossible de dire si elles pourront être suffisamment durables pour surmonter les problèmes structurels embarrassants des pays arabes, et pour vaincre les forces réactionnaires qui veulent préserver le statu quo. Bien que les élites enracinées en Tunisie et en Égypte aient été secouées par la vague révolutionnaire, elles ne cèderont pas facilement leurs privilèges. De plus, d'autres élites toujours au pouvoir feront tout ce qu'elles pourront pour arrêter cette vague dans toute la région.
Une question connexe est de savoir si ce qui a débuté en Tunisie et en Égypte a le potentiel pour renverser les autres tyrans arabes. Malgré toutes les similitudes entre les régimes, chaque pays arabe est différent des autres. Les populations de plusieurs d'entre eux, notamment la Jordanie, l'Algérie, le Yémen, le Bahreïn et l'Irak, sont moins homogènes que celles d'Égypte ou de Tunisie, avec d'importants clivages ethniques, régionaux ou religieux que les dirigeants peuvent exploiter pour diviser et régner. Et dans certains cas, à savoir en Algérie, en Irak et en Jordanie, les souvenirs de guerres civiles sanglantes qui ont, dans un passé relativement récent, déchiré ces sociétés peuvent faire hésiter les populations. Les forces réactionnaires manœuvrent tous ces facteurs tandis qu'elles opèrent à travers les frontières pour maintenir les systèmes antidémocratiques et discriminatoires, que ce soit au Bahreïn ou ailleurs.
Néanmoins, le nouveau souffle partout dans le monde arabe a été contagieux, et des exigences de démocratie et de limites constitutionnelles sur les pouvoirs des dirigeants qui ont commencé en Tunisie et en Égypte émergent maintenant au Maroc, en Algérie, au Soudan, en Jordanie, en Syrie, au Yémen, en Irak et dans les pays du Golfe. On entend maintenant partout, de l'Atlantique au Golfe, le slogan lancé d'abord par les révolutionnaires tunisiens et égyptiens : “Al-sha’b yurid isqat al-nizam” (“Le peuple veut la chute du régime”).
Quelque soit le résultat, ces événements sont une confirmation spectaculaire non seulement des aspirations communes à la liberté et à la dignité de toute une génération de jeunes Arabes, mais aussi de l'existence d'une sphère publique arabe commune. Bien qu'on la doive beaucoup aux médias modernes, c'est une erreur de trop se focaliser sur les détails technologiques, que ce soit Facebook, Twitter, les téléphones cellulaires ou la télévision par satellite. Cet espace public commun existait par le passé, qui s'appuyait sur les formes antérieures de technologie, que ce soit la presse papier ou la radio. Comme avec toutes les révolutions, celle-ci est le résultat non pas de la technologie mais de nombreuses années de luttes incessantes des syndicats de travailleurs, de groupes de femmes, d'activistes des droits de l'homme, d'islamistes, d'intellectuels, de militants pour la démocratie et beaucoup d'autres qui ont chèrement payé leurs convictions. S'il y a quoique ce soit de nouveau, ce sont les formes d'organisation non hiérarchisées et en réseau qui se sont développées parmi beaucoup de ces groupes.
La dernière question que soulèvent les révolutions arabes est celle du rôle des puissances occidentales dans la défense du statu quo arabe pourri. Les États-Unis ont toujours été déchirés, en matière de politique étrangère, entre leurs principes, dont le soutien à la démocratie, et leurs intérêts, dont le soutien de dictateurs à leur botte. Quand il y a peu de contrôle public, la dernière impulsion prédomine dans la politique US au Moyen-Orient. Aujourd'hui, avec les médias américains qui rapportent des histoires de jeunes Arabes charismatiques renversant des dictateurs détestés et appelant à la démocratie dans un anglais impeccable, le public américain observe, et Washington a répondu en soutenant timidement une transition démocratique, et en appelant faiblement à la retenue ses autres clients arabes dans la répression de leurs peuples. Le rôle des intérêts sordides s'est aussitôt réaffirmé dans la politique US au Bahreïn et en Libye, qui ont été traités différemment l'un de l'autre, et par rapport à d'autres pays arabes témoins de bouleversements.
Ce nouveau moment au Moyen-Orient rendra plus difficile la vieille approche "les-affaires-continuent" à Washington, à Tel Aviv et dans les capitales arabe. Le régime Moubarak était un pilier central de la domination régionale tant américaine qu'israélienne, et il sera difficile sinon impossible de le remplacer. Les autres dirigeants arabes absolus, même s'ils s'arrangent pour rester au pouvoir, ne peuvent plus ignorer l'opinion publique comme ils l'ont toujours fait par le passé. Que cela signifie de suivre servilement Washington dans sa guerre froide contre l'Iran, ou de protéger Israël contre toute pression lorsqu'il colonise la terre palestinienne et ancre son occupation, ces politiques impopulaires de la plupart des gouvernements arabes seront plus difficiles à maintenir. La contribution systématique de l'opinion publique dans l'élaboration de la politique étrangère des États arabes n'est pas pour tout de suite. Mais on peut raisonnablement espérer que le temps où les dirigeants arabes pouvaient ignorer leur opinion publique et courtiser Israël pendant qu'il brutalisait les Palestiniens est révolu.
Personne à Washington ne peut compter sur la complaisance et la soumission envers Israël et les États-Unis, qui était une des caractéristiques principales de l'ordre arabe en stagnation et qui est en train d'être contesté dans toute la région. Ce qui le remplacera sera déterminé dans les rues, comme dans les cafés internet, les salles des syndicats, les bureaux des journaux, les groupes de femmes et les domiciles de millions de jeunes Arabes. Ils ont annoncé qu'ils ne tolèreraient plus d'être traités avec le mépris que leurs gouvernements leur ont montré tout au long de leur vie. Ils nous ont tous prévenus : "Le peuple veut la chute du régime." Ils veulent dire par là les régimes de chacun des pays arabes qui ont volé leur dignité aux citoyens. Ils veulent aussi dire un régime régional dont la pierre angulaire fut une soumission humiliante aux diktats des États-Unis et d'Israël, et qui a volé à tous les Arabes leur dignité collective.
Source : Jadaliyya.com
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