J'avais commencé à traduire cet article du Guardian avant de m'apercevoir que le magazine Courrier International avait réalisé sa propre traduction. Je vous propose donc cette dernière.
Je ne sais même pas s'il est besoin de commenter tant l'attitude de la presse française vient finalement s'accorder à l'hypocrisie du gouvernement de M. Sarkozy. Il y a un mot en anglais pour désigner ce genre de presse qui sévit dans les démocraties avances: corporate. Un mot qui souligne le rapport de ces media aux grandes entreprises et aux oligarchies politiques et économiques.
Certains disent que le colonel Kadhafi est fou en plus d'être un autocrate. Peut-être. Au moins c'est un fou qui n'a pas été élu, ce qui est sans doute un signe de la santé mentale du peuple libyen.
par Nabila ramdani, The Guardian (UK) 20 juin 2011
Il y a à peine plus de trois mois, Nicolas Sarkozy conviait la presse mondiale à l’Elysée pour annoncer le début de son offensive aérienne contre la Libye. Le Conseil de sécurité des Nations unies venait tout juste [le 17 mars] de voter la résolution 1973 — qui autorisait une intervention pour "protéger les populations civiles" —, et les dirigeants occidentaux, dont David Cameron et Hillary Clinton, s’étaient retrouvés à Paris pour peaufiner les détails des opérations militaires, mais plus rien n'arrêtait "Speedy Sarko". Entrant fièrement par une double porte dans un des salons grandioses de l’Elysée, le président français avait déclaré aux journalistes, avec un rictus déterminé, qu’en "ce moment même" (voix forte, torse bombé et menton levé), les as français pulvérisaient les chars et les soldats de Kadhafi sur une vague route perdue à l’ouest de Benghazi.
Peut-être les Rafale qui s’acquittaient de la tâche étaient ceux-là même que Sarkozy avait tenté de vendre à Kadhafi lors de sa visite d’Etat à Paris, seulement quatre ans plus tôt, mais qu'iimporte : l’heure était à la célébration d’une initiative martiale bleu-blanc-rouge, non au souvenir d’échecs commerciaux. A écouter Sarkozy, on aurait pu croire qu’il parlait du général Philippe Leclerc et de sa 2e DB, fer de lance de la libération de Paris en 1944. La gigantesque machine de guerre américaine assurait peut-être une fois encore l’essentiel de l’offensive, mais les véritables héros qui se trouvaient en première ligne en Libye brandissaient les couleurs sacrées de la France. Autant d’allusions que la presse française buvait comme du petit lait, impatiente d’assister à une aventure militaire brutale mais rapide qui aboutirait au renversement d’un tyran et l’empêcherait de "tuer son propre peuple". Dans le même temps, Sarkozy pourrait profiter de cette honorable croisade contre un ancien allié pour faire oublier ses piètres prestations sur le plan intérieur. Aujourd'hui, cette même presse hexagonale se fait étrangement silencieuse alors que, selon toute hypothèse, ce serait un missile français qui aurait frappé un pâté de maisons à Tripoli [le 19 juin aux petites heures de la matinée], tuant au moins neuf civils, dont de jeunes enfants, et en blessant des dizaines d'autres.
Des journalistes qui font autorité, y compris britanniques, travaillant en Libye, estiment que "la défaillance du système d'armes" (jargon de l'OTAN) est due à une erreur de l'armée française. Or Paris a dans les faits imposé un black-out sur ce sujet dans la presse. Le lendemain de cette attaque meurtrière, pas un mot dans la presse française, à la télévision ou à la radio, sur les éventuels responsables. "Peu importe qui a tiré ce missile", m'a dit une source du ministère de la Défense. "C'est une opération conjointe — nous y participons tous." Quand je lui a demandé directement si c'était un missile français qui avait tué des civils, il m'a répondu : "Sans commentaire." Des commentateurs plus sceptiques m'affirment que cette intervention coûte à la France l'équivalent de plus de 1 million d'euros par jour, que les équipages des avions et bateaux sont "dangereusement" surmenés, et que la stratégie de Kadhafi, terré dans son bunker, est payante. De manière tout aussi pertinente, certains analystes militaires précisent que les missiles air-sol français SCALP, peut-être à l'origine de ce drame, coûteraient jusqu'à 800 000 euros chacun. Mais le vrai coût de l'enlisement de cette guerre sordide s'avère bien plus élevé. Sarkozy et ses généraux commencent à s'en apercevoir.
Des journalistes qui font autorité, y compris britanniques, travaillant en Libye, estiment que "la défaillance du système d'armes" (jargon de l'OTAN) est due à une erreur de l'armée française. Or Paris a dans les faits imposé un black-out sur ce sujet dans la presse. Le lendemain de cette attaque meurtrière, pas un mot dans la presse française, à la télévision ou à la radio, sur les éventuels responsables. "Peu importe qui a tiré ce missile", m'a dit une source du ministère de la Défense. "C'est une opération conjointe — nous y participons tous." Quand je lui a demandé directement si c'était un missile français qui avait tué des civils, il m'a répondu : "Sans commentaire." Des commentateurs plus sceptiques m'affirment que cette intervention coûte à la France l'équivalent de plus de 1 million d'euros par jour, que les équipages des avions et bateaux sont "dangereusement" surmenés, et que la stratégie de Kadhafi, terré dans son bunker, est payante. De manière tout aussi pertinente, certains analystes militaires précisent que les missiles air-sol français SCALP, peut-être à l'origine de ce drame, coûteraient jusqu'à 800 000 euros chacun. Mais le vrai coût de l'enlisement de cette guerre sordide s'avère bien plus élevé. Sarkozy et ses généraux commencent à s'en apercevoir.
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