Rebel Griot
Traduction : Dominique Muselet
« L’Afrique est la clé du développement économique mondial »; ce récent titre du Washington Post est d’une honnêteté rafraîchissante, mais pas vraiment une primeur. La main d’oeuvre et les ressources africaines —comme vous le dirait n’importe quel historien économique décent — sont la clé du développement économique mondial depuis des siècles.
Quand les Européens ont découvert l’Amérique il y a 500 ans, leur système économique s’est disséminé à vive allure. Les puissances européennes ont pris de plus en plus conscience que l’équilibre des pouvoirs dans leur pays dépendrait de la force qu’ils pourraient tirer de leurs colonies. L’impérialisme (c'est-à-dire le capitalisme) a été la caractéristique essentielle de la structure économique mondiale depuis lors.
Pour l’Afrique cela s’est traduit par le pillage systématique et continu de sa main d’oeuvre et de ses ressources qui n’a pas faibli à ce jour. D'abord, ça a été l’enlèvement brutal de dizaines de milliers d’Africains pour remplacer la force de travail native d’Amérique que les Européens avaient décimée. Le commerce des esclaves a été dévastateur pour les économies africaines qui étaient rarement capables de supporter l’effondrement de leur population; mais les capitaux ainsi accumulés par les propriétaires de plantation dans les Caraïbes ont financé la révolution industrielle. Tout au long des 18 et 19ièmes siècles de plus en plus de matières précieuses ont été découvertes en Afrique (spécialement du fer, du caoutchouc, de l’or et de l’argent) et le vol des terres et des ressources a finalement abouti à ce qu’on a appelé « La ruée vers l’Afrique » quand, en l’espace de quelques années, les Européens se sont partagé le continent tout entier (sauf l’Éthiopie). À ce stade, l’économie s’était largement mondialisée et l’Afrique continuait à fournir la base du développement industriel européen, les Africains étant, pour ce faire, dépouillés de leurs terres et de leurs ressources et forcés de travailler dans les mines d’or et dans les plantations de caoutchouc.
Après la Seconde Guerre mondiale, les puissances européennes, affaiblies par des années de guerre industrielle les unes contre les autres, se sont efforcées d’adapter le colonialisme à leur nouvelle situation. Les mouvements de libération se renforçaient et les puissances européennes étaient confrontées à une nouvelle réalité économique —le coût de la répression « de l’agitation des natifs » devenait proche du niveau de richesse qu’ils extrayaient de leurs pays. La solution qu’ils ont choisie a été baptisée « néocolonialisme » par Kwame Nkrumah; elle consistait à confier les attributs formels du pouvoir à un groupe d’hommes de paille triés sur le volet pour qu’ils les laissent continuer à exploiter leurs pays comme auparavant. En d’autres termes, l’adaptation du colonialisme permet de faire supporter aux Africains eux-mêmes les coûts et le fardeau de la répression de leurs propres populations.
En pratique ça n’a pas été aussi simple. Partout en Asie, en Afrique et en Amérique latine, il y a eu des mouvements de masse qui réclamaient le contrôle de leurs propres ressources et dans beaucoup d’endroits, ces mouvements ont réussi à prendre du pouvoir —parfois par la guérilla, parfois par les urnes. Les puissances européennes —désormais conduites par leur dernier rejeton et protégé, les USA— ont mené des guerres impitoyables pour venir à bout de ces mouvements. Cette lutte, et non la soi-disant « guerre froide », est ce qui caractérise l’histoire des relations internationales de l’après-guerre.
Jusqu’à aujourd’hui, le néocolonialisme a été un succès pour les Européens et les USA. Le rôle de l’Afrique comme fournisseur de main-d'oeuvre bon marché, pour ne pas dire esclavagiste, et de minéraux n’a pas faibli. La pauvreté et la désunion ont souvent été les principaux facteurs qui ont permis à cette exploitation de se maintenir. Cependant, de sérieuses menaces pèsent désormais sur ces deux facteurs.
Les investissements chinois en Afrique pendant ces dix dernières années ont contribué à mettre en place une industrie et des infrastructures africaines qui commencent à avoir des effets bénéfiques sur le niveau de vie des populations. En Chine, grâce à cette politique, il y a eu une réduction drastique de la pauvreté et le pays est en passe de devenir la première puissance économique du monde. Si l’Afrique suit cet exemple, ou un autre du même genre, cela mettra probablement fin aux 500 années de pillage des richesses de l’Afrique par l’occident.
Pour empêcher cette « menace sur le développement de l’Afrique », les Européens et les USA ont employé la seule chose qu’ils connaissent —les armes. Il y a quatre ans, les USA ont mis en place un nouveau « centre de contrôle et de commande » pour soumettre militairement l’Afrique qui porte le nom d’AFRICOM. Le problème pour les Étasuniens était qu’aucun pays d’Afrique ne voulait les accueillir; de fait jusqu’à encore tout récemment, l’Afrique se distinguait en étant le seul continent qui ne comportait pas de base américaine. Et en vérité c’était en grande partie grâce aux efforts du gouvernement libyen.
Avant que la révolution de Kadhafi ne chasse en 1969 le roi Idris qui était soutenu par les Anglais, la Libye abritait une des plus grandes bases américaines, la base aérienne Wheelus; mais au cours de la première année de la révolution, elle a été fermée et tout le personnel militaire a été expulsé.
Ces dernières années, Kadhafi travaillait activement à saboter AFRICOM. Quand les USA offraient de l’argent à un pays d’Afrique pour qu’il accueille une base étasunienne, Kadhafi lui offrait le double pour qu’il refuse et en 2008 cette opposition s’est cristallisée sous la forme d’un rejet formel de AFRICOM par l’Union africaine
Et ce qui était peut-être encore plus inquiétant pour l’hégémonie européo-étasunienne sur le continent c’était les énormes montants d’argent que Kadhafi consacrait au développement de l’Afrique. Le gouvernement libyen a été sans nul doute le plus gros investisseur du premier satellite africain lancé en 2007 qui a fait économiser à l’Afrique les 500 millions de dollars que lui coûtait précédemment l’utilisation des satellites européens. Pire encore pour les puissances coloniales, la Libye avait alloué 30 milliards de dollars à l’Union Africaine pour trois projets financiers destinés à mettre un terme à la dépendance africaine vis-à-vis de la finance occidentale. La Banque d’Investissement Africaine, -qui a son siège en Libye - devait investir dans le développement de l’Afrique sans intérêt ce qui aurait sérieusement menacé la domination du Fond Monétaire International sur l’Afrique —un instrument capital pour maintenir l’Afrique dans la pauvreté. Et Kadhafi dirigeait la mise en place par l’Union Africaine d’une nouvelle monnaie africaine indexée sur l’or qui aurait sectionné encore une autre des ficelles qui tiennent l’Afrique à la merci de l’Occident, 42 milliards de dollars ayant déjà été consacrés à ce projet — et à nouveau la majeure partie par la Libye.
La guerre de l’OTAN a pour but de mettre un terme au projet socialiste, anti-impérialiste, et panafricain de la Libye qui était le fer de lance d’un mouvement destiné à renforcer l’unité et l’indépendance de l’Afrique. Les rebelles ont clairement exprimé leur racisme virulent depuis le début de leur soulèvement en arrêtant et en exécutant des milliers de travailleurs et d’étudiants africains noirs. Tous les fonds de développement africains pour les projets décrits ci-dessus ont été « gelés» par les pays de l’OTAN et vont être remis à leurs copains du Conseil de transition pour acheter des armes et faciliter la guerre.
Pour l’Afrique la guerre est loin d’être terminée. Le continent africain doit se rendre compte que l’agression de l’OTAN est un signe de désespoir, d’impuissance et d’incapacité à empêcher l’inévitable montée en puissance de l’Afrique sur la scène internationale. L’Afrique doit retenir les leçons de la Libye et continuer à consolider l’unité panafricaine et à résister à AFRICOM. Il y aura encore beaucoup de Libyens qui les soutiendront dans cette tâche.
Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/griot030911.htm
Source Le Grand Soir
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