Dmitri Kossyrev
Vendredi 2 Septembre 2011
http://www.alterinfo.net/Le-sort-de-l-argent-debloque-pour-la-nouvelle-Libye_a63149.html
Les nouvelles des fronts libyens cèdent peu à peu la place à un tout autre problème, à savoir qui donnera l’argent libyen "dégelé", selon quelles modalités, quels en seront les bénéficiaires et à quoi ces sommes seront-t-elles utilisées. La Grande-Bretagne débloquera 1 milliard de livres, un demi-milliard de dollars sera alloué par l’ONU… Actuellement, le jeu diplomatique mondial se déroule autour de ce sujet. Et il ne s’agit plus seulement de la Libye mais également des principes. Or les principes sont une chose très sérieuse.
"Et comment l’entendez-vous?"
La nouvelle du jour: la Russie participe à la conférence des "Amis de la Libye"qui se tient le 1re septembre à Paris. Beaucoup doutaient de cette participation: la réunion à Paris ressemblait à un triste festin des vainqueurs, c’est-à-dire du groupe des membres européens de l’OTAN qui doivent aider leurs protégés matériellement – autrement dit réfléchir à la manière dont le Conseil national de transition remettra l’ordre dans la vie du pays. Or, cela représente énormément d’argent. Et la question financière est la plus discutée à Paris.
Pour l’instant (selon une nouvelle datant de mardi) le nouveau gouvernement de Tripoli recevra les dinars libyens de la part des Britanniques pour un montant d’environ 1 milliard de livres. La Libye n’imprime pas ses billets elle-même, c’était une commande passée à la Grande-Bretagne par Kadhafi. Mais elle a été gelée en raison des sanctions des Nations Unies. 1,5 milliard de dollars ont également été débloqués la semaine dernière par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Et on note beaucoup de détails étranges. "Monsieur le secrétaire général, il est question de 500 millions de dollars qui seront répartis entre les rebelles sous la forme de salaires. Comment l’entendez-vous? – J’entends qu’une partie de cette somme de 1,5 milliard… sera allouée aux agences humanitaires de l’ONU, et nous nous efforceront d’utiliser cet argent pour l’aide humanitaire urgente de manière transparente et responsable… La discussion de ces questions se poursuivra… à Paris, ainsi que lors de la prochaine réunion de l’Assemblée générale en septembre."
Ce passage est extrait de la courte conférence de presse du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon du 26 août où il a également annoncé qu’il se rendrait à Paris, rencontrerait le chef du Conseil de transition, et ainsi de suite.
Cet échange de politesses met déjà en évidence les questions les plus complexes concernant la Libye. Que faudrait-il faire? Donner tout cet argent qui a été pris à Kadhafi aux gens qui ont pris le pouvoir et ont des attitudes différentes? Et qui sera chargé de contrôler les dépenses?
Tous les chemins mènent à l’ONU
Ce n’est pas la première guerre de ce genre au cours des dernières années, et ce n’est pas la première fois qu’après l'anarchie du temps de guerre on assiste à des manœuvres diplomatiques complexes pour régler la situation dans un cadre juridique.
Rappelons que dans le cas de la Libye, l’opération de l’OTAN résulte d’une interprétation très large par l’Alliance de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies du 17 mars 2011. Le Conseil de sécurité a adopté une résolution ne prévoyant que l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne en Libye. Mais l’affaire a dégénéré en soutien massif par l’OTAN de l’un des camps dans la guerre civile déclenchée en février.
Une chose similaire s’est produite avec les guerres en Yougoslavie (1999) et en Irak (2003): le même groupe de pays ou les Etats-Unis seuls déclenchaient des guerres en s’appuyant sur des documents de l’ONU (destiné à un autre but) ou même sans documents de l’ONU du tout. Mais lorsque la guerre se terminait, il s’avérait que l’ONU était tout de même indispensable, car le droit international est une chose nécessaire à tous. D’ailleurs, même l’administration de George W. Bush a finalement commencé à travailler étroitement avec l’ONU.
Et voici un exemple qui en explique la raison. Seul le Conseil de sécurité des Nations Unies peut dégeler l’argent de Kadhafi qu’il a lui-même gelé. C’est-à-dire, non seulement les pays qui ont soutenu la guerre en Libye, mais également les autres pays qui ne les ont pas rejoints: la Russie, la Chine, l’Inde et beaucoup d’autres.
J’ai bien dit, beaucoup d’autres. Durant cette même conférence de presse, beaucoup de question ont été posées à Ban Ki-moon. "Est-ce que le Conseil national de transition a déjà été reconnu?" "Que pensez-vous de la position de l’Afrique du Sud?" Ban Ki-moon, homme très pro-occidental, s’en sortait comme il pouvait: "Je vais aller à Paris et on décidera de tout cela…"
Il ne s’agit pas seulement de l’OTAN
Il convient de noter la position de la Russie à l’égard de la Libye. Elle est plus souvent considérée comme un exemple des relations complexes entre la Russie et l’OTAN, la Russie et les Etats-Unis, lorsque les deux camps ne veulent pas se brouiller, mais n’y parviennent pas, car le scénario libyen est trop exécrable, et l’OTAN en est bien consciente.
Mais en réalité, la situation est bien plus complexe. La Russie, la Chine et beaucoup d’autres pays se sont retrouvés pris en étau entre d’autres forces – les Arabes et les Africains. L’Union africaine a refusé de reconnaître le Conseil national de transition libyen (bien que beaucoup de ses membres l’aient reconnu). Par contre les arabes, qui cherchaient depuis des années à se débarrasser de l’extravagant Kadhafi, ont décidé d’agir très habilement: se servir de l’OTAN pour éliminer le colonel, puis décider de la suite. Moscou et Pékin cherchaient surtout à ne pas offenser ces deux groupes d’Etats et avaient d'autres soucis qu'une éventuelle confrontation avec l'OTAN.
En ce qui concerne les négociations actuelles difficiles au sein de l’ONU, y compris au Conseil de sécurité, le tableau n’est pas non plus simple. Il est clair que la Russie et beaucoup d’autres pays s’opposeront à l’application de l’expérience libyenne dans un autre pays – en Syrie.
Sinon, il serait trop facile de ne pas opposer son veto à une résolution à première vue innocente sur la Syrie, et regarder comment l’opposition enthousiasmée par cette résolution commence à se comporter comme le Conseil de transition libyen au lieu de chercher la paix et un compromis avec le régime. En d’autres termes, à refuser de négocier et à demander un soutien militaire. Chose qu’elle fait déjà. Mais dans l’ensemble, l’expérience de la guerre libyenne s’est avérée traumatisante pour tous, et avant tout pour les pays de l’OTAN. Et elle traumatisera encore, car désormais il est nécessaire de normaliser la situation dans le pays, et dans l’ensemble participer activement à ses affaires. Ainsi, pour résumer, tout le monde essayera de trouver un arrangement au Conseil de sécurité puis à l’Assemblée générale fin septembre.
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