lundi 24 octobre 2011

Hamadi Jebali : 'L''essentiel est de respecter les libertés"


Hamadi Jebali, secrétaire général du parti Ennahda, s'adresse à la foule de ses sympathisants le 1er octobre 2011 lors d'un meeting à  Sidi Bouzid pour le lancement de la campagne en vue de l'élection de l'assemblée constituante, prévue le 23 octobre.

Hamadi Jebali : Questions/ réponses pour mieux connaitre ENNAHDHA


Pati : Si votre parti remporte les élections, la Tunisie va-t-elle devenir un pays islamique ?

Si on remporte les élections, la Tunisie ne sera pas un pays islamique, elle sera un pays démocratique. C'est-à-dire que nous allons respecter les fondements d'un Etat de droit où toutes les libertés seront respectées, la volonté de notre peuple aussi, à travers des élections libres et transparentes.
Il y aura l'indépendance des trois pouvoirs : l'exécutif, législatif et la magistrature, liberté d'opinions et de culte. Ces libertés seront absolument garanties. Et de cette façon, peu importe pour moi l'appellation. Ce sont les fondements de l'Etat démocratique.
Lola : Quel est selon vous le rapport entre politique et religion ?
Pour nous, il y a respect de la vie politique, comme je l'ai dit. Il n'y a aucune ingérence du religieux dans la vie politique. Le religieux, c'est-à-dire les croyances, les libertés, le culte, est l'affaire de la société tout entière. Notre principe : nulle contrainte dans la religion.
Massinissa : Selon vous, le Tunisien est-il plus près de l'Italien ou de l'Irakien ?
Les Tunisiens ont leur personnalité, leurs réalités, leur identité, leurs références. Mais ils sont toujours ouverts au brassage des sociétés, et surtout, avec les environs tout proches avec leur tête, l'environnement européen. Certainement, on a une histoire commune avec Rome, puisque Rome était un empire. L'appartenance arabe nous unit à l'Irak. Mais nous sommes unis avec l'Italie aussi, dans des relations de culture et de voisinage.
Ogareff : Pensez-vous que la femme et l'homme soient égaux et doiventbénéficier des mêmes droits dans absolument tous les domaines ?
ertainement, et sans équivoque. Je crois que la société tunisienne est arrivée à un niveau culturel et social où la femme occupe une place privilégiée que nous comptons, à Ennahda, renforcer et aller plus loin dans les acquis de la femme.
Ogareff : Pensez-vous que l'adultère doit être sanctionné ? Si oui, comment ? L'adultère féminin est-il, selon vous, plus grave que l'adultère masculin ?
Nous n'allons pas changer les lois actuelles, au moins pour Ennahda. Nous pensons que ce n'est pas une question de sanction, mais une question tout d'abord d'éducation et de civisme.
Lola : Les citoyens tunisiens non musulmans ne sont-ils pas de seconde zone selon vous ?
Pas du tout. Notre conception de l'Etat est tout d'abord un Etat de citoyenneté, c'est-à-dire qu'elle considère que tous les citoyens tunisiens, musulmans, juifs ou chrétiens, sont des citoyens égaux en droits et en devoirs.
Vincent Arturo : Etes-vous pour une loi contre le blasphème ?
Pas du tout. Nous n'allons pas changer les lois sur cette question. Je répète qu'il n'est pas question de traiter les phénomènes sociaux par des sanctions uniquement.
Lola : Quel regard portez-vous sur les grandes théocraties islamiques ?
Je n'ai pas de regard sur ces Etats. Je pars du respect des types de société à condition qu'ils soient choisis démocratiquement. Et ce choix est de la responsabilité des peuples saoudien, iranien ou tout autre.
Re4Qube : Soutenez-vous les récentes manifestations survenues en Tunisie suite à la diffusion de Persepolis sur l'une des chaînes de télévision du pays ?
Pour nous, l'essentiel est de respecter les libertés. Toutes les libertés d'expression de tout genre. Mais nous sommes aussi pour le respect des peuples d'accepter ourefuser ces manifestations culturelles, films ou autres, y compris la liberté de manifestation dans le cadre du respect d'autrui et si ces manifestations sont pacifiques.
Grifo : Toujours à propos de Persepolis, votre parti a déclaré que la décision de la TV Nessma de projeter le film était une provocation. Vous ne pensez pas que, au nom de la liberté d'expression, fondamentale à toute démocratie moderne, c'est le choix de chaque citoyen d'avoir accès et de regarder ce qu'il veut, ceux qui se sentent offensés par un film étant libres de ne pas leregarder ?
Nous sommes pour cette liberté de choix, d'expression, et nous sommes aussi pour cette même liberté de manifester dans le cadre de la loi. Quant à cette projection, l'essentiel est que toutes les libertés soient respectées : liberté d'accepter, et liberté de refuser ce genre de films ou tout autre.
Jean Pierre Ryf : Comment vous positionnez-vous par rapport au salafisme ?
On respecte toutes les idées à condition qu'elles soient dans le cadre des libertés et dans le cadre aussi de la démocratie, c'est-à-dire en dehors de toute action brutale ou armée. Si ces conditions sont réunies, les salafistes, comme tous les autres courants, doivent trouver leur place dans notre société. Et c'est au peuple de se prononcer librement sur tous ces partis ou ces mouvements.
Mohamed : Pourquoi dans votre programme électoral, en 365 points, il n'est jamais fait allusion au code du statut personnel ?
Si, on y a fait allusion à plusieurs reprises. Peut-être pas sous ce titre, mais nous avons plusieurs chapitres sur la famille et la femme, les acquis sociaux de notre société, et je pense que nous avons précisé clairement nos positions sur ce problème.
Khalil : Je suis curieux de savoir quel plan d'action Ennahda compte mettreen place pour créer du travail et consolider des liens économiques avec l'Europe.
Nous avons deux priorités actuellement : l'emploi, et ce problème sera résolu en deux ou trois étapes, c'est-à-dire à court terme, pendant la première année, l'année de transition. Nous allons tout d'abord consolider les mesures prises par le gouvernement actuel : les subventions accordées aux jeunes chômeurs, surtout les chômeurs diplômés, ceux qui ont des titres universitaires. Nous allonsconserver cette subvention, actuellement de 200 dinars et même plus. Nous allonsélargir les bénéficiaires. Mais nous allons centrer notre programme sur la formation de ces jeunes sur des filières où les demandes sont réelles, comme les technologies nouvelles, et cela passe par la création de centres de formation pourrépondre à ces demandes. Cela passe aussi par une injection d'argent dans les investissements à court terme, surtout dans les micro-projets, les petites et moyennes entreprises. Tout cela pour absorber au maximum ces jeunes chômeurs.
Et à moyen terme, nous agirons sur des plans de développement régional, surtout dans les régions déshéritées, et dans ce domaine, nous comptons sur l'appui de nos amis, notamment européens, pour créer des postes de travail et par làcommencer à résoudre le problème de l'immigration clandestine qui représente un drame humanitaire et social dans notre pays et dans les pays européens.
Enfin, à long terme, par une autre conception du modèle de développement, qui sera, j'espère, élaborée très prochainement. Ce sujet est très vaste pour en parleren quelques minutes. Vous pouvez consulter notre programme pour en savoir plus.
Romain : Pour Ennahda, l'islam implique-t-il plutôt une économie socialiste ou libérale ?
Je crois que c'est un modèle d'économie intermédiaire, c'est-à-dire respecter le libre choix et la liberté du marché, de la propriété individuelle, l'Etat conservant son rôle de modérateur, surtout dans les secteurs stratégiques.
Mohamed : L'actuel 1er article de la Constitution de 1959 stipule que "la Tunisie est un pays souverain, dont le régime est la République, la langue l'arabe, et qui a comme religion l'islam". Comptez-vous le changer ou l'amender en totalité ou en partie ? Si c'est le cas, quelle en sera la teneur ?
Je crois que l'article 1er de la Constitution a l'aval de tous les Tunisiens, donc c'est un dénominateur commun et un article d'équilibre dans la société. Tout en précisant que si la religion d'Etat est l'islam ne veut pas dire que les autres croyances vont être considérées comme citoyens de deuxième ordre et que notre conception de l'Etat, je le répète, c'est un Etat neutre envers les religions, un Etat de droit et de citoyenneté : tous les citoyens doivent être traités comme égaux en Tunisie.
Patrice : La loi, et notamment la loi pénale, restera-t-elle laïque et ne connaîtra-t-elle aucun changement ?
Je ne sais pas ce que veut dire "laïque", mais elle restera en vigueur, telle qu'elle est. Pour nous, il n'y aura pas de changement.
5alifa : Je voudrais savoir quelle est votre position par rapport à l'interdiction du bourqa/niqab ?
Pour nous, il n'y a ni encouragement ni interdiction. Nous considérons que c'est une affaire personnelle et de liberté individuelle.
18 juin : Un certain nombre de Franco-Tunisiens se prononcent apparemment en faveur de vos idées, il semble de fait qu'ils n'aient plus leur place en France, allez-vous les reprendre ?
C'est là aussi une décision personnelle. Je crois que la France et les sociétés européennes ont traité ces Tunisiens comme des citoyens égaux et qu'une bonne partie y a trouvé l'asile politique. Nous avons le devoir de les saluer et de lesremercier, et je pense aussi que ces sociétés sont des sociétés de droit qui ont respecté et respectent nos citoyens à tous les niveaux.
Dans ces conditions, le retour en Tunisie est un choix personnel en dehors de tout aspect confessionnel ou politique. Ils seront toujours les bienvenus pour contribuerau développement de leur pays.
Re4Qube : A quel degré et de quelle manière la religion influe-t-elle sur votre programme politique ?
La religion n'a pas d'influence directe sur notre programme politique, sauf dans la référence aux valeurs que je considère comme universelles, c'est-à-dire les valeurs de liberté, des droits de l'homme et de démocratie qu'Ennahda considère comme principes, et même comme l'essence de l'islam.
5alifa : Cela signifie-t-il que vous permettrez la vente d'alcool ou le non-jeûne en public lors du ramadan ?
Ce problème doit être traité dans deux cadres : le cadre des libertés individuelles et celui du respect des valeurs de la société. On n'a pas le droit de s'immiscer dans les affaires personnelles, mais tout le monde a le devoir de respecter le consensus et l'identité nationaux.
Iep : Qu'est ce qu'un "parti islamiste" selon vous ?
Ennahda, à mon avis, n'est pas un parti islamiste. D'ailleurs cette appellation ne me dit rien du tout. Nous sommes un parti politique et civil, c'est-à-dire qu'il n'est pas théocratique, dans le sens que notre devoir est de proposer à notre peuple notre programme dans tous les domaines, et que nous voulons que les gens nous choisissent ou nous rejettent en fonction de ce programme. Pas comme étant religieux ou pas religieux.
Postittt : Si votre parti remporte les élections, pouvez-vous garantir le principe fondamental de la laicité de l'Etat ?
Nous garantissons l'Etat de droit et de citoyenneté. C'est ce que nous comptonsfaire, et c'est ce qui nous intéresse. Si laïcité veut dire respect des libertés, pouvoirdu peuple, respect de son jugement, si cela s'appelle Etat laïque, à ce moment-là, tant mieux.
Iep : Si vous êtes élu, accepterez-vous la liberté de tous les cultes ?
Absolument. Nous rappelons, pour ceux qui ne le savent pas, que l'islam oblige ses croyants au respect de toutes les religions, et considère même que ce respect est un des fondements de la religion.
Erdogan : Etes-vous (Ennahda) pour la reconnaissance et la normalisation des relations diplomatiques entre la Tunisie et Israël ?
Sur cette question, nous sommes très clairs : si Israël accepte le droit des Palestiniens à la création d'un Etat démocratique sur les territoires reconnus par les accords internationaux, y compris une partie de Jérusalem comme capitale, et si les Palestiniens et les Israéliens tombent d'accord, nous sommes, à Ennahda et en Tunisie, pour appuyer, et même garantir, cet accord.
Jean : Accepteriez-vous que des portraits de Dieu ou du Prophète soient réalisés et publiés en Tunisie, pour quelque utilisation que ce soit, au nom de la liberté d'expression ?
Je crois que c'est plutôt une provocation qu'une liberté d'expression, malheureusement. Et je me demande à quoi vont servir ces provocations, si cela entre vraiment dans le domaine des libertés d'expression ou bien dans celui de la provocation. Surtout en ce moment où toute la Tunisie se prépare au jour crucial, le 23 octobre, dont tout le monde espère qu'il se passera dans le calme.
Erdogan : Quelles sont les sources de financements externes du parti Ennahda ?
Nous n'avons pas et n'avons pas besoin de source extérieure de financement. Je rappelle que le parti Ennahda est un parti populaire, donc les cotisations de nos adhérents, qui sont d'ailleurs en Tunisie et à l'étranger, nous suffisent largement. Nous n'avons donc pas besoin de financement extérieur, et n'en avons pas le droit.
Bedad: Il est souvent dit que l'AKP vous aidait ?
Personne ne nous aide financièrement. C'est vrai que nous avons des relations avec la Turquie, et avec beaucoup d'autres, mais cela reste sur les plans politique, culturel et autres, et n'a rien à voir avec le plan financier.
Guillaume : Avez-vous des "mentors spirituels" en politique, des modèles ?
Non, nous n'avons pas de modèle figé. Nous n'avons pas non plus d'expérience àexporter. Mais nous échangeons avec tout le monde l'expérience et les intérêts mutuels.
Guest : Ennahda reconnaît-il le droit d'être athée ?
Absolument. Et je vous fais savoir que pour adhérer à Ennahda, il n'est pas nécessaire d'être croyant ou pratiquant, sauf qu'il faut respecter le règlement intérieur et les principes de Ennahda. Le port du voile n'est pas non plus une condition pour l'adhésion à Ennahda.
Manuel : Un homosexuel peut-il adhérer à votre parti ?
Oui, s'il respecte le règlement et les principes de Ennahda. Nous n'allons pasintervenir dans ses actes personnels, mais il doit respecter aussi nos principes, qui sont contre ses agissements. Homosexuels ou autres.
Lola : Approuvez-vous les sanctions existantes en Tunisie contre les homosexuels ? Quelles sanctions souhaitez-vous mettre en place pourpunir les homosexuels ?
Il n'y a pas de sanctions propres aux homosexuels. Il y a des lois pénales que tout le monde doit respecter.
Je crois que ce problème est traité dans la loi tunisienne. Ce n'est pas notre priorité maintenant de chercher des sanctions pour ces problèmes, que je considère comme secondaires dans notre société.
Mohsen : Pour vous, Internet devrait-il être contrôlée ? Et les sites "djihadistes" et "extrémistes" devraient-ils être censurés ou pas ?
Non, pas du tout. Aucun site ne doit être censuré. C'est aux citoyens de choisir deregarder ou non, comme à Nessma, mais si une projection tombe sous le coup de la loi, c'est une autre question.
Chat modéré par Domitille Hazard et Isabelle Mandraud
Chttp://www.lemonde.fr/tunisie/article/2011/10/18/hamadi-jebali-l-essentiel-est-de-respecter-les-libertes_1589959_1466522.html

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