Les médias passent sous silence les morts dont les Etats-Unis sont responsables
Madeleine Albright, la Secrétaire d’Etat de l’époque, qui a dit en parlant de la mort des 500 000 enfants irakiens que "c’était le prix à payer".
Danny LUCIA
Plus d’un million d’Irakiens sont morts dans la guerre américaine.
Cette phrase est un test décisif. La réaction immédiate de certaines personnes est de dire "Ce n’est pas possible" parce que les Etats-Unis ne pourraient pas faire une chose pareille. Ou parce que des crimes d’une telle envergure ne se produisent plus. Ou parce qu’ils se produisent mais seulement dans des endroits épouvantables que les Etats-Unis n’ont pas encore libérés.
Un million de morts c’est un chiffre qui vous fait dire "Grand-papa, pourquoi n’as-tu rien fait pour empêcher ça ?". C’est un chiffre qui place indéniablement les Etats-Unis au rang des méchants de l’histoire. Ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas accepter cela ne peuvent pas non plus admettre qu’un million d’Irakiens soit mort. Leur cerveau rejette cette éventualité comme s’il s’agissait d’un virus étranger.
Noam Chomsky a écrit un jour que "le signe d’une culture vraiment totalitaire est que des vérités importantes ont tout simplement perdu tout sens pour les gens et sont assimilées à des provocations du niveau de ’Va te faire foutre !’ et ne peuvent générer en réponse qu’une torrent parfaitement prévisible d’injures."
C’est en effet à peu près la manière dont les médias ont réagi au chiffre de un million quand il a été annoncé en 2007 par la firme de sondages britannique, Opinion Research Business (ORB) (En fait la firme estimait que 1 220 580 Irakiens étaient morts, ce qui confirmait en la mettant à jour une étude réalisée l’année précédente par des chercheurs de l’Université Johns Hopkins et publiée dans le journal médical The Lancet).
Prenons par exemple Kevin O’Brien, le rédacteur en chef du Cleveland Plain Dealer. Quand il a reçu le mail qui l’informait des résultats des recherches de ORB qui a parmi ses clients le Parti Conservateur Britannique et Morgan Stanley, il a répondu : "Enlevez-moi de votre mailing list et épargnez-moi votre propagande cousue de fil blanc".
Dans les commentaires moroses du mois dernier sur la fin de la guerre en Irak, on a rarement trouvé un chiffre correspondant au nombre d’Irakiens morts. Les reporters ont répété que les chiffres des pertes irakiennes "n’étaient pas connus", ce qui montre que les médias ont à peu près le même intérêt pour le nombre de morts en Irak que pour le nombre d’écureuil morts dans un feu de forêt.
Ce que Mary Milliken de Reuters a écrit est typique : "Aujourd’hui nous avons commémoré la mort dans cette guerre d’un nombre inconnu d’Irakiens et celle de presque 4 500 Etasuniens."
Combien d’Etasuniens sont morts, Mary ? - Presque 4 500. Et combien d’Irakiens ? - Oh, vous savez, beaucoup. Un grand nombre.
"Un nombre inconnu" signifie qu’il n’y a pas d’estimation disponible du nombre exact de morts irakiens. En fait, il y en a deux : une organisation intitulée Iraq Body Count (IBC) a estimé à environ 110 000 le nombre d’Irakiens morts, sur la base des rapports des médias et des statistiques du ministère de la Santé. IBC admet que ce total est sûrement inférieur à la réalité parce que les armées d’occupation et les combattants de guerres civiles sectaires n’ont pas l’habitude de bien tenir leurs livres de comptes, mais il n’est pas d’accord avec le chiffre plus élevé de ORB et Johns Hopkins indiqué plus haut.
Sans vouloir entrer dans un débat méthodologique, il y a des chiffres disponibles qui permettraient de se faire une bonne idée des pertes civiles en Irak. Mais les reporters comme Kevin O’Brien et Mary Milliken ne les font pas "connaître".
Le silence qui entoure les chiffres n’est pas tant une conspiration que l’évidence que certains chiffres sont absolument incompatibles avec la mentalité impériale étasunienne.
Prenons un autre chiffre funeste d’une décennie antérieure : selon le Fond pour les Enfants de l’ONU, 500 000 enfants irakiens sont morts dans les années 1990 à cause des sanction imposées par l’ONU (sous la pression des Etats-Unis) qui empêchaient les médicaments et autres produits de première nécessité d’entrer dans le pays.
En 2000, le coordinateur des l’aide humanitaire de l’ONU a donné sa démission pour protester contre les sanctions, deux ans après que son prédécesseur ait fait la même chose. Ces deux diplomatiques expérimentés ont plus tard utilisé le mot "génocide" pour décrire la politique étasunienne.
Si vous ignorez ces faits ou les avez oubliés, vous n’êtes pas le seul. Il en est de même pour ceux qui ont décidé d’attaquer l’Irak. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la stratégie de guerre et d’occupation étasunienne reposait sur la présomption que leur soldats seraient accueillis en libérateurs par les parents de ces 500 000 enfants. (Les sanctions d’ailleurs n’avaient pas été imposées au nord kurde, la seule partie d’Irak qui n’a pas offert de résistance massive à l’occupation étasunienne).
Ce n’est pas par hasard que la plupart des militants pacifistes les plus engagés sont des révolutionnaires d’une couleur ou d’une autre. Nous sommes capables d’appréhender l’atrocité du crime commis contre l’Irak parce que nous sommes radicaux. Et vice-versa.
Nous, les révolutionnaires, nous sommes confrontés ironiquement à la sagesse conventionnelle qui nous accuse d’être des adeptes fanatiques de "la fin justifie les moyens" sans aucun souci du sang versé, parce que nous voulons transformer la société.
Mais c’est Madeleine Albright, la Secrétaire d’Etat de l’époque, qui a dit en parlant de la mort des 500 000 enfants irakiens que "c’était le prix à payer". Et c’est Leon Panetta, le secrétaire de la Défense actuel qui a utilisé exactement la même expression à propos de la seconde invasion et occupation de l’Irak.
Ces paroles sont l’expression d’une ordre fanatique auquel nous devrions tous nous opposer de toutes nos forces.
Danny Lucia
Cette phrase est un test décisif. La réaction immédiate de certaines personnes est de dire "Ce n’est pas possible" parce que les Etats-Unis ne pourraient pas faire une chose pareille. Ou parce que des crimes d’une telle envergure ne se produisent plus. Ou parce qu’ils se produisent mais seulement dans des endroits épouvantables que les Etats-Unis n’ont pas encore libérés.
Un million de morts c’est un chiffre qui vous fait dire "Grand-papa, pourquoi n’as-tu rien fait pour empêcher ça ?". C’est un chiffre qui place indéniablement les Etats-Unis au rang des méchants de l’histoire. Ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas accepter cela ne peuvent pas non plus admettre qu’un million d’Irakiens soit mort. Leur cerveau rejette cette éventualité comme s’il s’agissait d’un virus étranger.
Noam Chomsky a écrit un jour que "le signe d’une culture vraiment totalitaire est que des vérités importantes ont tout simplement perdu tout sens pour les gens et sont assimilées à des provocations du niveau de ’Va te faire foutre !’ et ne peuvent générer en réponse qu’une torrent parfaitement prévisible d’injures."
C’est en effet à peu près la manière dont les médias ont réagi au chiffre de un million quand il a été annoncé en 2007 par la firme de sondages britannique, Opinion Research Business (ORB) (En fait la firme estimait que 1 220 580 Irakiens étaient morts, ce qui confirmait en la mettant à jour une étude réalisée l’année précédente par des chercheurs de l’Université Johns Hopkins et publiée dans le journal médical The Lancet).
Prenons par exemple Kevin O’Brien, le rédacteur en chef du Cleveland Plain Dealer. Quand il a reçu le mail qui l’informait des résultats des recherches de ORB qui a parmi ses clients le Parti Conservateur Britannique et Morgan Stanley, il a répondu : "Enlevez-moi de votre mailing list et épargnez-moi votre propagande cousue de fil blanc".
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"Nous ne tenons pas le compte des cadavres" est la célèbre réponse que le Général Tommy Franks a faite à un reporter qui l’interrogeait sur les pertes civiles. Il n’est pas le seul dans son cas.Dans les commentaires moroses du mois dernier sur la fin de la guerre en Irak, on a rarement trouvé un chiffre correspondant au nombre d’Irakiens morts. Les reporters ont répété que les chiffres des pertes irakiennes "n’étaient pas connus", ce qui montre que les médias ont à peu près le même intérêt pour le nombre de morts en Irak que pour le nombre d’écureuil morts dans un feu de forêt.
Ce que Mary Milliken de Reuters a écrit est typique : "Aujourd’hui nous avons commémoré la mort dans cette guerre d’un nombre inconnu d’Irakiens et celle de presque 4 500 Etasuniens."
Combien d’Etasuniens sont morts, Mary ? - Presque 4 500. Et combien d’Irakiens ? - Oh, vous savez, beaucoup. Un grand nombre.
"Un nombre inconnu" signifie qu’il n’y a pas d’estimation disponible du nombre exact de morts irakiens. En fait, il y en a deux : une organisation intitulée Iraq Body Count (IBC) a estimé à environ 110 000 le nombre d’Irakiens morts, sur la base des rapports des médias et des statistiques du ministère de la Santé. IBC admet que ce total est sûrement inférieur à la réalité parce que les armées d’occupation et les combattants de guerres civiles sectaires n’ont pas l’habitude de bien tenir leurs livres de comptes, mais il n’est pas d’accord avec le chiffre plus élevé de ORB et Johns Hopkins indiqué plus haut.
Sans vouloir entrer dans un débat méthodologique, il y a des chiffres disponibles qui permettraient de se faire une bonne idée des pertes civiles en Irak. Mais les reporters comme Kevin O’Brien et Mary Milliken ne les font pas "connaître".
Le silence qui entoure les chiffres n’est pas tant une conspiration que l’évidence que certains chiffres sont absolument incompatibles avec la mentalité impériale étasunienne.
Prenons un autre chiffre funeste d’une décennie antérieure : selon le Fond pour les Enfants de l’ONU, 500 000 enfants irakiens sont morts dans les années 1990 à cause des sanction imposées par l’ONU (sous la pression des Etats-Unis) qui empêchaient les médicaments et autres produits de première nécessité d’entrer dans le pays.
En 2000, le coordinateur des l’aide humanitaire de l’ONU a donné sa démission pour protester contre les sanctions, deux ans après que son prédécesseur ait fait la même chose. Ces deux diplomatiques expérimentés ont plus tard utilisé le mot "génocide" pour décrire la politique étasunienne.
Si vous ignorez ces faits ou les avez oubliés, vous n’êtes pas le seul. Il en est de même pour ceux qui ont décidé d’attaquer l’Irak. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la stratégie de guerre et d’occupation étasunienne reposait sur la présomption que leur soldats seraient accueillis en libérateurs par les parents de ces 500 000 enfants. (Les sanctions d’ailleurs n’avaient pas été imposées au nord kurde, la seule partie d’Irak qui n’a pas offert de résistance massive à l’occupation étasunienne).
Ce n’est pas par hasard que la plupart des militants pacifistes les plus engagés sont des révolutionnaires d’une couleur ou d’une autre. Nous sommes capables d’appréhender l’atrocité du crime commis contre l’Irak parce que nous sommes radicaux. Et vice-versa.
Nous, les révolutionnaires, nous sommes confrontés ironiquement à la sagesse conventionnelle qui nous accuse d’être des adeptes fanatiques de "la fin justifie les moyens" sans aucun souci du sang versé, parce que nous voulons transformer la société.
Mais c’est Madeleine Albright, la Secrétaire d’Etat de l’époque, qui a dit en parlant de la mort des 500 000 enfants irakiens que "c’était le prix à payer". Et c’est Leon Panetta, le secrétaire de la Défense actuel qui a utilisé exactement la même expression à propos de la seconde invasion et occupation de l’Irak.
Ces paroles sont l’expression d’une ordre fanatique auquel nous devrions tous nous opposer de toutes nos forces.
Danny Lucia
Pour consulter l’original : http://socialistworker.org/2012/01/30/one-million-dead
Traduction : Dominique Muselet
URL de cet article 15724
http://www.legrandsoir.info/un-million-de-morts-en-irak-socialist-worker.html
http://www.legrandsoir.info/un-million-de-morts-en-irak-socialist-worker.html
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