vendredi 18 avril 2014

Tunisie – British Gas : Amilcar, le permis qui fâche


Par Hafawa Rebhi
La commission de l’énergie et des secteurs de production a consulté, le 2 avril 2014, deux magistrats de la Cour des comptes à propos de projets de loi relatifs à des accords pétroliers entre l’ETAP et des sociétés étrangères.
Partis des résultats du rapport élaboré par la Cour des comptes en 2012, les deux magistrats se sont notamment attardés sur le projet de loi 27/2012, concernant l’avenant n°5 à la convention et ses annexes du 25 octobre 1988 régissant le permis d’exploitation d’hydrocarbures Amilcar, détenu à parts égales par British Gas Tunisia (BGT) et l’ETAP.
Entre avenant, projet de loi et exposé des motifs
Il est à préciser dans un premier temps que l’avenant en question, dont nous avons pu obtenir une copie, ne concerne que la concession Hasdrubal, partagée depuis le 18 janvier 2007 entre l’ETAP et BGT. L’avenant ne concerne donc pas l’autre concession régie par le permis Amilcar : Miskar ; le plus grand champ gazier du pays, qui se trouve entièrement exploité par BGT.
Cette précision ne figure ni dans le projet de loi, qui n’est composé que d’un unique article, lequel soumet aux députés la ratification de l’avenant, ni dans l’exposé des motifs, annexé par le ministère de l’Industrie au projet de loi.
Le ministère de l’Industrie plaide, dans son exposé des motifs pour une extension exceptionnelle du permis Amilcar de 12 mois, lequel permis est venu à expiration le 22 décembre 2011. Ce retard est justifié par des « difficultés techniques » rencontrées au niveau de deux forages.
Le document du ministère de l’Industrie  avance également que le projet de loi vise à régulariser la situation du projet GPL et celle de l’entreprise qui traite le gaz du champ Hasdrubal. Encore une fois, les précisions sur la situation de cette entreprise ne sont pas à chercher, ni dans l’unique article du projet de loi, ni dans son exposé des motifs. Elle se trouve plutôt dans l’avenant qui stipule notamment qu’aucune pénalité ne sera appliquée à la société qui gère le projet, à savoir le GPL
Les constats de la Cour des comptes
Le rapport de la Cour de comptes, qui est un document accessible au public, explique bien l’évolution de ce projet ainsi qu’une défaillance troublante de la part de l’ETAP :
« En vertu d’un accord approuvé par l’autorité de tutelle le 15 septembre 2006, « British-Gas » s’est vu confier la mission de réalisation et de financement d’une unité de traitement du gaz liquide dans le cadre du projet « Hasdrubal » en se faisant octroyer l’avantage fiscal de réinvestir les provisions qu’elle a constituées dans le cadre de la concession de « Miskar».
L’accord a prévu que l’ETAP prenne en charge le coût du traitement de sa quote-part en gaz liquide au niveau de la concession de « Hasdrubal » sans que ce coût ne dépasse le prix de vente du gaz liquide durant sept ans d’exploitation. Au cas où la société exploitante de l’unité ne serait pas en mesure de réaliser un taux de rentabilité égal à 10% au terme de la période indiquée, l’ETAP serait contractuellement tenue de combler le déficit de rentabilité enregistré et deviendrait associée au projet, copropriétaire des matériels et des ouvrages.
 Estimant que la rentabilité attendue de cette unité était insuffisante,  l’ETAP a renoncé à participer à sa réalisation. Cette appréciation est mise à mal par les analyses financières qui font état du paiement par l’ETAP de commissions au profit de « British-Gas » s’élevant à 29 M$ à la fin de novembre 2011. A ce rythme, le montant global des commissions à payer par l’ETAP s’élèverait à 252 M$ au terme de la période de sept ans soit 73% de la valeur de l’investissement réalisé. » (Rapport de la Cour des comptes)
Toujours selon le rapport de la Cour des comptes, le coût total des opérations d’exploration de la concession du champ Hasdrubal s’est élevé à 100M$, auquel s’ajoute la somme de 1311M$ représentant les coûts de développement arrêtés à la fin de 2010.
Les coûts de développement ont concerné essentiellement le forage de 4 puits à hauteur de 480 M$ et l’installation de matériel pour le traitement du gaz à concurrence de 398 M$.
Dans l’analyse des coûts financiers des opérations de forage, c’est le quatrième puits qui a particulièrement attiré l’attention des spécialistes. Estimé au départ à 50 M$, le coût du forage de ce puits s’est élevé à 250 M$. Malgré cet écart (cinq fois) entre les deux chiffres, la compagnie nationale n’a pas cru devoir recourir à l’avis d’un expert externe. Pourtant, une clause dans le contrat (qui n’est pas publié) l’y autorise.
De plus, l’accord entre les deux parties a prévu la création d’une société mixte dans les meilleurs délais pour la mise en marche du champ de « Hasdrubal ». « Deux ans après l’entrée du champ en production en décembre 2009, ladite société n’a pas encore vu le jour », statue ainsi le rapport.
Dans cette relation contractuelle, ce n’est pas seulement une partie qui n’utilise pas ses droits, mais c’est l’autre partie qui n’aurait pas obéi à ses devoirs. Le rapport avance en effet que : « Les contrôles a posteriori effectués par l’ETAP ont donné lieu à des réserves concernant un montant de 71 M$ sur un total de 101 M$ au titre des dépenses d’exploration et un montant de 180 M$ sur un total de 973 M$ de dépenses effectuées durant la période 2006-2008 au titre du développement. Les principales réserves se rapportent au défaut de production par BGT des pièces justificatives nécessaires et à la réalisation par cette société de travaux supplémentaires non approuvés par le comité opérationnel. »
Il fait chaud à la commission de l’énergie!
Lors de l’exposition de ces faits déconcertants au niveau de la relation entre l’ETAP et le concessionnaire BGT, les deux magistrats de la Cour des comptes ont également révélé plusieurs anomalies toutes aussi troublantes au niveau de la relation entre BGT et la STEG.
La concession de Miskar, exploitée à 100% par BGT fournit 48% des ressources nationales en gaz naturel. L’électricien national s’approvisionne en effet en gaz tunisien chez BGT. Cette dépendance de la STEG de BGT expliquerait-elle l’apathie de cette entreprise nationale face à son fournisseur?
Selon Houcine Bousandel, « la société BGT utilise lors du redémarrage de ses stations un gaz que lui fournit la STEG à diverses périodes de l’année en l’absence de tout document contractuel précisant les modalités de livraison du gaz et le prix appliqué. Au cours des deux années 2009-2010, BGT s’est vu facturer 10916 T.E.P de gaz destiné à l’exploitation du champ de Hasdrubal pour un montant de 7,863MD ».
Ces faits révélés par Houcine Bousandel et son collègue Mohamed Trabelsi et leurs recommandations pour instaurer la bonne gouvernance dans le secteur du gaz naturel ont eu des effets controversés sur les députés de la commission. Le rapporteur Abdelaziz Kotti, député de Nidaa Tounes y a vu des tentatives « très graves » de la part des magistrats, pour influencer les membres de la commission et une manière de discréditer les autres institutions de l’Etat. C’est que pour lui, la Cour des comptes n’est qu’une institution de l’Etat, qui contrôle, précise les dépassements et transfère les dossiers à la justice.
Ripostant aux remontrances de Abdelaziz Kotti, Houcine Bousandel n’a pas manqué de rappeler les deux missions principales de la Cour des comptes : contrôler l’usage de l’argent public par les ordonnateurs, les entreprises publiques ou même les organismes privés bénéficiant d’une aide de l’État et surtout informer le Parlement, le Gouvernement et l’opinion publique sur la conformité des comptes.
Le magistrat a ainsi estimé que son exposé est objectif. Tout autant objectif est le rapport de la Cour des comptes qui a été, selon ses dires, élaboré selon les standards internationaux. Aussi catégorique fut son avis concernant l’extension exceptionnelle du long permis Amilcar. Estimant que la ratification de l’avenant serait une manière de violer la loi par la loi, le magistrat a ainsi rejoint Mohamed Chafik Zorguine, le président de la commission de l’énergie qui a refusé l’instrumentalisation des députés de la post-révolution, afin « de blanchir la corruption et la spoliation des richesses nationales ». « J’aurais aimé que l’administration s’abstienne de ne pas conclure ces avenants, et qu’elle ne nous demande pas de conférer une légitimité à des violations scandaleuses de la loi et de l’intérêt suprême du pays », a ainsi déploré le député de l’Alliance Démocratique à l’issue de l’audience.
Les commentaires de BGT
Nous avons contacté Mehdi Ben Abdallah, le vice-président de BGT, pour lui demander son avis sur le rapport de la Cour des comptes. «  On n’a pas de commentaire à faire. Notre focalisation se porte sur trois priorités : assurer la sécurité de nos employés et de nos sites, investir de façon à répondre à nos engagements vis-à-vis de la Tunisie et continuer à travailler dans la transparence et conformément à la loi ».
C’est que pour le vice-président de BGT, c’est plutôt au ministère de tutelle de faire des commentaires. Pas de commentaires non plus sur ce qui s’est passé hier dans la commission de l’énergie. Interrogé sur d’éventuelles répercussions des décisions de cette commission législative et de la plénière sur les activités de BGT en Tunisie, Mehdi Ben Abdallah s’est également abstenu de commenter. Pour lui, British Gas ne construit pas ses activités sur des suppositions.
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