mardi 31 mai 2011

Au JT tunisien, la propagande fait de la résistance


 


Riadh Ferjani est chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université Manouba de Tunis. Il commente pour nous, à l'aide de trois extraits du journal télévisé, l'évolution de la chaîne nationale tunisienne. Le constat est sévère : manque de professionnalisme, traitement de faveur… Quatre mois après la révolution, les signes du changement tardent à venir. Démonstration.




Happening à Tunis, le 22 février 2011, lançé par les signataires de l'appel pour des médias libres dont fait partie Riadh Ferjani.

Propos recueillis par Henri-
« “Dans le cadre de sa politique de bienveillance…”
En Tunisie, cette formule ouvrait invariablement le journal télévisé sous la présidence de Ben Ali. Tous les sujets qu’ils soient d’ordre politique, économique ou sociaux, étaient traités à travers le prisme déformant de l’activité du gouvernement. A l'époque, tout portait la marque du Président – ou de sa femme Leïla Trabelsi dans les derniers temps – et ce jusqu'au ridicule. Images d’hélico sur les grandes réalisations du régime (complexes touristiques, échangeurs d’autoroutes), visites du Président mises en scène (même lorsqu'il en était absent !), la propagande avait sa propre esthétique de communication. Sa façon de parler de la réalité, tout en étant en opposition totale avec elle…

Sous Ben Ali, le journal de TV7 était le seul rendez vous télévisé des Tunisiens avec l'information, les chaines privées n'ayant pas de JT. Il était officiellement crédité d’une audience de 18%. Des sources officieuses parlent plutôt de 1 à 2 %, tant il était discrédité auprès de la population. On le regardait plus pour se tenir au courant de la comédie du pouvoir, la météo même était sujette à caution ! »
Le 24 décembre 2010, une semaine après l'immolation du marchand ambulant de Sidi Bouzid, voici comment TV7, la télévision nationale évoquait ce « fait divers » qui déclenchera finalement la révolution.



« Pendant des années, la télévision a été vidée de ses compétences. Pour être promu, il fallait d'abord détenir la carte du RCD (le parti de l'ex-Président), et surtout aller très loin dans le discours élogieux. Aujourd'hui, le non-professionnalisme est toujours à l'œuvre au JT de la TTN1 (ex TV7). On y donne des informations douteuses, sans aucune analyse, perspective ou recul. On retrouve toujours les travers de ce “journalisme de communiqué” qui caractérisent la diffusion de l'information sous un régime totalitaire. Le plus inquiétant, en particulier dans la perspective des prochaines élections, c'est de voir que le gouvernement ne donne pas de signes fort de désengagement, de promotion de la diversité. »


Le 8 mars 2011, TTN1 diffusait un reportage sur la construction d'un complexe touristique sur un site archéologique… Sans mentionner qu'une polémique existait.



« Aujourd'hui le discours a changé, mais les mécanismes de la propagande demeurent. C'est toujours le récit qui prime sur l'information. On privilégie le traitement unilatéral, le point de vue unique, et on retrouve une voix officielle au détriment d'un compte rendu objectif et pluriel. En cela le JT est en rupture avec les attentes des Tunisiens dans leur diversité.
La parole alternative pose encore problème. Si les plateaux télévisés s'ouvrent peu à peu aux anciens opposants, la manière de passer en plan large ou de 3/4, d'incruster des éléments textuels à l'écran, de faire défiler des newsbars au moment où le propos se fait trop dérangeant trahi ce malaise. On donne la parole mais la façon de la donner n'est pas anodine. Le discours dissident, auquel on opposait hier l'argument de la non-objectivité, peut être tué par la façon de le filmer. »
Le 1er mai, un reportage sur les dégâts subis par un complexe culturel à Monastir. Des manifestants sont mis en cause. Personne n'ira les interroger.



« Les Tunisiens ont toujours eu accès à une information alternative, même parcellaire et venant de l'étranger, surtout depuis l'apparition des chaînes par satellite, et d'Internet. Les Tunisiens ont fini par apprendre à identifier la propagande, jusqu'à en être immunisés. Mais en temps de crise, ses mécanismes se mettent de nouveau à nu : le vocabulaire utilisé par le speaker, les termes “terroristes”, “hordes antipatriotes” et le discours d’invective, reviennent, sans surprise. Il est grand temps que la chaîne d'Etat devienne une chaîne publique. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire