samedi 21 mai 2011

La révolution d'espagne




Désormais "illégaux" mais déterminés à faire entendre leur ras-le-bol de la crise et du chômage, des centaines de jeunes restaient mobilisés samedi dans le campement alternatif de la Puerta del Sol à Madrid, en dépit de la trêve électorale qui interdit les manifestations.
Aux cris de "maintenant nous sommes illégaux", une foule immense a accueilli vendredi à minuit le début de la trêve, après avoir, aux douze coups de l'horloge, lancé symboliquement un "cri muet", rubans de scotch sur la bouche, bras levés au ciel. Samedi matin, environ un millier de manifestants occupaient toujours le "village" de tentes et de bâches en plastique bleu.
La foule, beaucoup plus nombreuse que les jours précédents, n'avait commencé à se clairsemer qu'en fin de nuit. Des milliers de jeunes étaient alors restés sur la grande place, veillant assis en cercle, discutant, jouant de la musique, dormant sous les tentes ou à la belle étoile.
L'agence Efe, se basant sur le comptage d'une société spécialisée, avançait le chiffre de 19.000 manifestants vendredi soir à la Puerta del Sol et dans les rues alentour, toutes bondées, d'autres médias estimant leur nombre à 25.000 à Madrid et 60.000 dans toute l'Espagne.
"C'est quelque chose de nécessaire, parce qu'en Espagne on ne savait pas que les gens étaient capables de faire cela. Enfin nous vivons quelque chose", confiait Julia Estefania, une étudiante en Sciences politiques de 20 ans venue de Tolède.
Elle et ses amies se sont reposées quelques heures à peine, allongées sur des cartons. "Dormir, dormir, je n'en avais pas très envie, finalement nous nous sommes allongées vers 6 heures", ajoutait Irène, 18 ans, une autre jeune fille du groupe.
La présence policière, en dépit de l'interdiction de manifester, est restée discrète tout au long de la soirée, limitée à quelques cars de police stationnés aux abords de la place.
Le gouvernement, embarrassé par ce mouvement spontané apparu à une semaine des élections régionales et locales de dimanche, qui s'annoncent désastreuses pour les socialistes, avait dit vendredi faire preuve de "compréhension".
Le ministre de l'Intérieur Alfredo Perez Rubalcaba avait laissé entendre qu'une action policière pourrait être évitée à condition qu'aucun débordement n'ait lieu.
Dans ce contexte, le mouvement de jeunes, profitant de sa popularité grandissante, joue sur l'ambiguité de la loi et l'embarras du gouvernement, en répétant qu'il est "apolitique", "citoyen", et que les journées de samedi et dimanche ne seront consacrées qu'à la poursuite d'une "réflexion" collective.
"Nous agissons dans le respect absolu de la trêve électorale, des assemblées vont se tenir mais aucune action ne sera décidée", expliquait samedi Juan Lopez, l'un des porte-parole.
Depuis mardi, ce mouvement spontané rassemble une mosaïque de jeunes mais aussi de citoyens de tous horizons et de tous âges, chômeurs, étudiants, retraités, salariés.
Inédit, coloré et pacifiste, le mouvement, au nom du "droit à s'indigner", dénonce la mainmise des grands partis sur la vie politique espagnole, l'injustice sociale, les dérives du capitalisme, la "corruption des politiciens" et se veut un laboratoire d'idées pour des réformes à venir.
Surtout, il trahit la frustration de millions d'Espagnols face au chômage qui atteint un taux record de 21,19% et frappe près de la moitié des moins de 25 ans, aux coupes salariales, aux retombées de la crise économique.
Le mouvement, né sur la place la plus emblématique du vieux centre madrilène, ose inévitablement la comparaison avec les récentes révoltes arabes.
"De Tahrir à Madrid, au monde, world revolution", proclamait vendredi une grande banderole, en lettres noires.
Les manifestants ont désormais "la ferme intention" de poursuivre lundi le mouvement, a indiqué Juan Lopez, c'est-à-dire au delà du calendrier initial qui devait coïncider avec les élections locales.Le ministre de l'intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba, avait auparavant déclaré que le gouvernement attendait la décision de la commission pour donner ordre à la police de disperser les manifestants. Il avait toutefois indiqué que la police "cherchait plutôt à résoudre les problèmes qu'à en créer".





 Des milliers d'Espagnols continuaient à occuper, samedi 21 mai 2011,  les principales places des grandes villes de la péninsule ibérique pour protester contre le chômage et les mesures d'austérité. Ils bravent ainsi une interdiction de manifester avant des élections locales de dimanche qui s'annoncent défavorables aux socialistes au pouvoir. Ils étaient plus de 25 000 vendredi soir à la Puerta del Sol, principale place de Madrid.




Ils appellent au boycott des deux grands partis du pays, le PSOE au pouvoir et le PP (opposition de droite), aux élections municipales et régionales prévues dimanche dans 8 116 communes et 13 des 17 régions du pays. Craignant de violents affrontements, le gouvernement socialiste n'a pas fait appliquer par la force l'interdiction de manifester, qui est entrée en vigueur à minuit et rend illégales les rassemblements politiques une veille d'élections.
Des centaines de lecteurs du Monde.fr, pour la plupart des Espagnols ou des Français vivant en Espagne, ont témoigné de la situation dans le pays alors que le mouvement du 15-mai (le "15-M") prend de l'ampleur. Si les perspectives économiques maussades ont fédéré une partie de ces "indignés", leurs revendications sont plus larges. A la veille d'élections locales, ils fustigent le système qui voit s'affronter le PP et le PSOE, sans que les partis de gouvernemetn ne les représentent. Ils déplorent également un système qui ne donne au citoyen qu'une "valeur de consommateur".
  • Caractère altruiste, par Victoire P.
Ce qui frappe dans les revendications des manifestants c'est leur caractère altruiste. Le peuple espagnol a compris que la crise était trop profonde pour pouvoir y remédier à coup d'actes individualistes. (...) Les espagnols veulent s'en sortir, ensemble. Il me semble qu'on va même plus loin qu'une simple revendication économique d'accès au travail et d'augmentation du pouvoir d'achat. Non, ce qui est remis en question c'est la place même de l'être humain dans sa société.

Ce qui m'a aussi surpris fut l'incroyable pacifisme de la manifestation. Il n'y eu aucun incident avec la police. Extrêmement surprenant quand on sait qu'il était théoriquement interdit de manifester et que bien souvent, pour une simple victoire du FC Barcelone, la police sort l'artillerie lourde pour disciper les attroupements festifs sur les places de la ville.
  • Un fossé entre la classe politique et la population par Clémente N.
Il est important de remarquer que le surnom des manifestants "los indignados" s'est directement inspiré du livre de Stéphane Hessel Indignez-vous, publié très récemment ici.
Depuis que ce mouvement a pris de l'ampleur, tous les journaux espagnols publient des interviews de l'homme politique où il affirme notamment être « très agréablement surpris par les mouvements de contestations et d'indignations pacifistes et respectueux en Espagne ». Etudiant actuellement à Madrid, j'ai pu voir l'expansion impressionnante de ce mouvement.
Les manifestants cherchent principalement à dénoncer l'énorme fossé entre toute la classe politique et la population – comme en France ? – et une de leurs principales revendications est de pouvoir tout simplement avoir des outils afin de montrer l'ampleur de ce fossé (en comptant les votes blancs lors des élections par exemple).
Les Espagnols en ont assez des mensonges, du manque d'initiatives concrètes face à la crise et de l'immobilisme face à la montée du chômage. Et les réactions des politiques, qui cherchent par tous les moyens à stopper ce mouvement, sont tout simplement suicidaires et ne font qu'attiser le mouvement. Je pense sincèrement que la police ne délogera pas les manifestants car le risque de débordement violent serait trop important. Est-ce-que ce mouvement continuera après les élections régionales et municipales de dimanche? C'est une question que tous les Espagnols se posent
  • On a trop tiré de la corde, elle a fini par casser, par Jenni
Je suis Espagnole et j'habite a València. (...) Ce n'est pas seulement une révolution de jeunes qui n'ont pas de travail... Dans les manifestations, on peut voir des gens de tous âges trahis par nos politiciens, qui n'hésitent pas à présenter dans leurs listes des politiques accusés de voler l'argent du peuple. Des gens qui voient ses salaires descendre sans explication, des gens qui s'indignent quand de voir les aides sociales diminuer alors que les banques perçoivent de grosses sommes. On a trop tiré de la corde, elle a fini par casser. Vive le 15-M !
  • Le réveil de la jeunesse espagnole, par Hugo A.
Etant étudiant à Madrid, j'ai pu voir à l'université les affiches invitant la jeunesse "sin futuro" à se mobiliser le 15 mai. C'est cette courte manifestation d'un kilomètre seulement, qui s'est finalement transformée en un sit-in dont la durée reste la grande inconnue. Bien que le message officiel est de tenir jusqu'aux élections, certains envisagent de prolonger le mouvement en espérant qu'il se propage en Europe, et que l'Espagne serve de pont entre le l'Afrique du nord et le vieux continent. Des drapeaux grecs et islandais flottent d'ailleurs aux cotés de la banderole égyptienne.

Etonnamment pacifiste pour un Français habitué à voir des fins de manifestations dégénérer, la mobilisation peut paraître numériquement faible, mais elle s'organise, dure, et prend de l'ampleur. Tandis que sur la toile l'évènement a engendré le plus grand nombre de tweets à l'échelle mondiale, la Plaza del Sol commence à être trop petite pour accueillir les "indignés" qui débordaient vendredi sur les rues adjacentes.

Contrairement à la France, où l'on entend certains médire sur l'excès de contestations, ici, l'immobilisme règne et par temps de crise, exaspère. Pour preuve, cette pancarte sur laquelle on pouvait lire : "les Français et les Grecs luttent pendant que les espagnols gagnent au foot". Si les conséquences de ce mouvement ne s'avèrent pas à la hauteur des espoirs suscités, il aura au moins le mérite de réveiller une jeunesse espagnole qui subit un chômage de près de 50%.
  • Manque de respect de la classe politique, par Eugenia Q.
Je suis Espagnole. J'habite à Gérone. J'ai 52 ans et je suis professeur. Je suis tout à fait pour ce mouvement de protestation en Espagne. Le motif de mon indignation est le manque de respect de la classe politique espagnole envers les citoyens. Ces hommes politiques ne voient que leur petit monde, sans écouter, même pendant ces jours-ci, le cri des milliers de personnes qui protestent contre la perte de notre pouvoir d'achat, des droits sociaux, contre le chômage de près de 5 millions de personnes, contre la corruption des hommes politiques. (...)
Les Espagnols réclament un vrai système démocratique qui donne voix réelle aux citoyens. Ni les partis politiques, ni les syndicats ne nous représentent. On est déçus d'un système pour lequel nous ne sommes qu'une marchandise. Nous avons une valeur qu'en tant que consommateurs.
J'espère que ce mouvement ne s'arrêtera pas après les élections. On a besoin d'un changement de modèle social et politique, et cela ne sera pas possible dans le cadre du système actuel qui donne de plus en plus de privilèges aux privilégiés et fait augmenter les inégalités sociales.
  • Une leçon pour la France, par François R.
Même si beaucoup de jeunes participent aux manifestations, c'est plus un mouvement intergénérationnel, mélange des catégories sociales. (...) On est très loin d'une révolte étudiante à proprement parler, mais bien dans une contestation de fond de la société espagnole dans son ensemble et dans sa diversité.
Je confirme l'aspect particulièrement sérieux de ce mouvement. En effet la "village" de la Puerta del sol est un espace organisé et on n'assiste pas à des scènes d'alcoolisation comme on pourrait en voir en France dans un contexte similaire. Je pense donc que la France, si fière de sa culture de la manifestation, a des leçons à prendre pour ne pas que ses contestations soient classées par catégories socio-culturelles et pour que les manifestants gagnent en sérieux, tout cela pourra redonner un peu d'impact à ces manifestations.
  • Un souffle d'air frais dans un quotidien étouffant, par Jean-François A.
Les campements qui se multiplient aujourd'hui à la vitesse du Web sont un souffle d'air frais dans l'ambiance sociale et économique étouffante qui règne en Espagne. Ils sont la réponse logique à une crise structurelle dont ni le PP, ni le PSOE n'ont su apporter ne serait-ce qu'une idée pour améliorer la situation, bien trop occupés à se jouer la guéguerre ou a gérer leur petites magouilles et corruptions qui enfoncent encore plus ce pays. Ce mouvement va vite...  et je crois qu'il a déjà plusieurs longueurs d'avance.
  • Democracia real, par Baptiste R.
A Bilbao, le mouvement du 15-M évolue à une vitesse surprenante. Ils n'étaient que 20 le 15 mai à protester devant l'ayuntamiento (la mairie) par solidarité avec les Madrilènes de la puerta. Ils sont aujourd'hui plus de 1 000 à avoir passé cette nuit du vendredi 20 mai devant le théâtre de l'Arriaga. Une cantine est installée, un écran de cinéma aussi. Sur la façade du majestueux théâtre surplombant le Nervion (le fleuve local) sont diffusés les tweets venus de toute l'Espagne pour appeler au cri muet de demain soir.
Partout les mêmes revendications et la même indignation, celle de jeunes sans emplois mais aussi de retraités, de chômeurs, de ces "indignés" qui refusent le bipartisme et en appellent à un système plus transparent, à davantage de démocratie participative à travers les associations de voisinage, l'extension du référendum ou encore au vote des immigrés : "Ils partagent nos douleurs, ils partagent nos devoirs, mais ils n'ont pas nos droits", scandait ainsi un manifestant par le biais du micro et des enceintes, prêtées pour l'occasion.
  • Valeurs humaines, par Anaïs A.
Il ne s'agit pas uniquement d'une réaction contre la crise économique. C'est surtout une réaction à la crise éthique, au manque d'honnêteté, à la manipulation des valeurs humaines, à leur négation face aux valeurs économiques. (...)
  • Je suis ému, par Joan A.
Une affichette collée hier Place de la Catalogne a Barcelone peut résumer l'ambiance : "J'etais à Paris em mai 68 et je suis ému. J'ai 72 ans".

LeMonde.fr

A Paris, 250 manifestants place de la Bastille

Deux cent cinquante personnes se sont rassemblées samedi après-midi sur la place de la Bastille à Paris pour soutenir les manifestations espagnoles. Assis sur les marches de l'Opéra Bastille, les manifestants, des étudiants pour la grande majorité, ont déployé une banderole avec les mots : "Spanish revolution, people of Europe rise up" (Révolution espagnole, peuples d'Europe levez-vous).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire