samedi 2 juillet 2011

L’Atlas accouche d’un grain de sable


La sclérose des partis d’opposition au Maroc n’a d’égale que la docilité de l’establishment politique pro-royal que cristallise si bien la flagornerie légendaire de la nomenclature du sérail.


Mohamed EL Mokhtar Sidi Haiba


L’Atlas accouche d’un grain de sable
Le Maroc organise un referendum sur une nouvelle constitution ce vendredi 1ier Juillet, 2011. Malgré une stabilité de façade que le royaume veut faire passer pour une exceptionnalité hors norme, le pays n’échappe point aux remous populaires agissant le monde arabe en ce moment. A ce titre, la proposition royale d’édulcorer, à nouveau, la constitution ne relève point du hasard. Bien plus qu’une simple coïncidence, cette concession de forme s’inscrit naturellement dans la logique des événements en cours. C’est, à n’en pas douter, la conséquence directe des soubresauts contestataires que vit la région depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi. Tout à fait conscient de l’effet de contagion en ce sens, le Makhzen choisit, comme d’habitude, d’accompagner subtilement la vague au lieu de braver de force le courant. En allant, ainsi, au devant de la scène, le monarque chérifien espère pouvoir contrôler l’élan du mouvement. Ce faisant, il escompte réduire, au minium, l’impact sur le trône de l’onde de choc du Printemps Arabe. D’où, donc, sa décision de nommer, très vite, un conseil d’experts pour la confection d’un nouveau projet de constitution à soumettre à un référendum populaire. La tâche est rendue d’autant plus aisée que, outre l’essoufflement du mouvement de révolte après la tragédie libyenne et le drame Syrien, la classe politique du pays, dans sa quasi-totalité, lui est d’avance fidèlement acquise.


 En fait, la sclérose des partis d’opposition au Maroc n’a d’égale que la docilité de l’establishment politique pro-royal que cristallise si bien la flagornerie légendaire de la nomenclature du sérail. Aucune des demandes formulées par les manifestants du Mouvement du 20 février ne figurait pourtant jusqu’ici à l’ordre du jour des programmes des principaux partis politique d’opposition. D’où le contraste entre le dynamisme du mouvement social de la jeunesse contestataire et la passivité compromettante des partis politiques traditionnels. Un hiatus qui illustre un décalage générationnel de taille : l’aspiration d’une nouvelle génération, sans complexe, résolument tournée vers le futur, et l’immobilisme d’une classe politique dépassée par les événements, plus que jamais hantée par le spectre de son passé macabre. 


En effet, hormis des groupuscules radicaux de gauche et quelques mouvements islamistes ou des personnalités indépendantes de la société civile, l’opposition politique organisée au Maroc n’est plus, depuis longtemps, que l’ombre de son passé. 


Les années de braise d’Hassan II ont, assurément, porté un coup de semonce fatal à la contestation politique partisane au royaume. La répression systématique des militants politiques a fini par décimer une véritable tradition de la contestation qui remonte aussi loin que l’époque du protectorat, c’est à dire vielle de plusieurs décennies ! La gauche marocaine qui osait braver les interdits en contestant la mainmise totale du Palais sur la vie publique en paya, hélas, le prix le plus cher. 


Le lâche assassinat de Mehdi Ben Barka, figure emblématique du tiers-mondisme en son temps et leader politique arabe hors pair, marqua un tournant historique dans l’évolution de la trajectoire politique du royaume. La longue nuit noire des détenus de Tazmamart symbolisé par le calvaire du célèbre militant, Abraham Serfaty, marqua l’acmé d’une période de lutte et d’engagement, sans précédent, sous la dynastie alaouite. Toutefois, le séjour infernal dans les bagnes de l’époque réduisit à néant l’ardeur de plus d’un militant. 


Au fil des ans, grâce une oppression sans limite, conjugué à un travail d’endoctrinement minutieux, la démission et la peur ont progressivement intégré l’Inconscient collectif des Marocains et fini par conditionner leurs comportements. D’où le désillusionnement de l’opposition politique traditionnelle. D’où la méfiance et l’aversion du commun des citoyens à l’égard de la politique. La psyché marocaine porte encore les cicatrices béantes de cette période de torture et de souffrance. La phobie des commissariats, la culture de la délation, l’obsession du Makhzen, le reflexe de soumission, une certaine révérence pour les emblèmes officiels : autant d’anomalies propres à une société forgée par la propagande d’un type particulier de despotisme absolu : la tyrannie du Seigneur Sacré. 


En effet, dans l’imaginaire élevé du monarque chérifien, tous les sujets du royaume sont d’eternels cadets sociaux ; la rigidité du protocole royal participe de cette mentalité hautement paternaliste et féodale. Le rituel de prosternation en masse et du baiser obligatoire de l’Auguste Main sanctifie, ici, la distinction de rang et de naissance. Du fait de l’onction de droit divin qui l’enveloppe, le statut du pouvoir royal est ainsi accepté, dans l’obéissance, comme par résignation ; c’est, là, l’effet d’admission fataliste du peuple croyant, nous dirait-on ! Indispensable outil de légitimation politique, la religion demeure, donc, une source d’inspiration et un référent essentiel pour le trône. 


Cependant, ce statut spirituel du roi ne l’empêche pas d’assumer d’autres rôles plus profanes et peu compatibles avec la sacralité supposée de son rang. D’où cet étonnant dédoublement de fonction en vigueur aujourd’hui : le Commandeur des Croyants est aussi un homme d’affaires prospère. Le sens aigu de l’affairisme que Mohamed VI cultive depuis son accession au trône est devenu somme toute la marque de trait principale de son règne. Ce Commandeur des Croyants alaouite, à la tête d’un état millénaire, est aussi le CEO et actionnaire principal de la holding capitaliste : Maroc Inc. En dix ans de règne, le « Roi des Pauvres » a accumulé une fortune privée estimée par le magazine Forbes à près de 2 milliards d’euros. Et ce grâce aux revenus tirés de l’exportation d’une richesse nationale : les phosphates. La société en charge de l’exploitation de ce minerai est une propriété royale personnelle par excellence. En fait, ce groupe contrôle maintenant, au travers de ses innombrables succursales des pans entiers de l’économie du pays. De l’agrobusiness à l’énergie, de la finance aux télécoms, la voracité de l’ONA-SNI n’a de limite que l’avidité du Palais. 


Pour les millions de Marocains qui peinent à joindre les deux bouts cette situation de monopole économique est un obstacle de trop. Ici comme ailleurs la domination économique est d’autant plus difficile qu’elle complique les perspectives de démocratisation et d’ouverture politique du système. Car pour assurer la loyauté de certains, le Palais a besoin d’argent. 


Pour acheter les consciences indispensables à la garantie de la stabilité, il emprunte les prébendes nécessaires pour cela à la bourse du Makhzen. D’où la culture de la gabegie au sein de l’administration et le règne de l’incurie au sommet de l’état. D’où surtout l’impossibilité de reformes de fond étant donné le degré élevé d’imbrication de l’argent et du pouvoir. Dans ces conditions, un rafistolage constitutionnel de plus est de la poudrière aux yeux pour les millions de Marocains aspirant à un changement institutionnel d’envergure de nature à améliorer leur sort. La preuve : au lieu d’amoindrir les pouvoirs du roi, la nouvelle constitution entérine ses prérogatives les plus exorbitantes tout en donnant l’impression d’étendre, par des améliorations d’ordre protocolaire, le pouvoir du premier ministre qui devient, dans la nouvelle constitution, le chef du gouvernement.


 Un chef de gouvernement habilité désormais à proposer à la nomination des ministres, des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires, des gouverneurs de province, et même doué de la compétence de dissoudre le parlement, mais à la condition expresse d’obtenir l’aval du conseil des ministres présidé, lui, par l’incontournable roi. Au-delà de la rhétorique sémantique du texte, il s’agit là d’un ajustement formel tout au plus. 


En effet, le roi demeure, jusqu'à preuve du contraire, le chef suprême des forces armées seul habilité à nommer les grands officiers de corps, le chef suprême du judicaire (il nomme 6 membres du conseil constitutionnel), le chef du haut conseil de la sécurité nationale, le guide spirituel de la nation. Mieux, il est encore, et plus que jamais, constitutionnellement en mesure de gouverner par simple dahir (décret royal) non susceptibles de recours. En d’autres termes, il peut déclencher une guerre de manière unilatérale sans consulter personne. Et si dans la nouvelle constitution sa personne n’est plus nominalement sacrée, elle n’en demeure pas moins éminemment inviolable. Voilà, en substance, le changement proposé aux Marocains. Un plébiscite majoritaire pour le oui est d’autant plus garanti que l’aval des élites corrompues n’a d’égal que la prédisposition à la manipulation des masses politiquement inconscientes et illettrées en grand nombre. Aujourd’hui près de la moitié, par exemple, des Marocaines ne savent ni lire ni écrire. Un nombre incalculable d’entre elles travaillent comme domestiques, souvent mineures, sans protection légale ni couverture sociale.


 La jeunesse du pays, y compris celle diplômée, n’aspire, dans son écrasante majorité, qu’à une chose : l’émigration vers l’Europe. Aller brouter des miettes dans les dépotoirs de l’Occident postindustriel, voilà le rêve ultime des jeunes Marocains d’aujourd’hui. La responsabilité de ce fiasco social est imputable en premier lieu au système politique très verrouillé du pays. 


Sans possibilité d’élire librement, ou rendre comptable de leurs actes leurs dirigeants, les Marocains n’ont pas droit de cité dans la manière dont ils sont gouvernés ou dans la façon dont leur avenir est planifié. Ils ne participent, donc, pas effectivement dans le processus de décision ayant trait à la gestion de leur pays. Autant dire que l’autodétermination politique demeure, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, toujours un vœu pieux au pays du soleil couchant ! Mohamed VI n’est, certes, pas le pire des rois. Loin s’en faut ! Mais dans le monde d’aujourd’hui une monarchie d’essence autre que démocratique et parlementaire n’a simplement pas sa place dans le concert de nations civilisées. 


Les monarques arabes ont un choix : ou ils reforment leurs systèmes politiques archaïques, de fond en comble, pour les mettre au diapason des aspirations légitimes de leurs citoyens, ou ils se préparent à rejoindre dans la poubelle de l’histoire une litanie de despotes républicains déchus de force par la volonté de la vox populi. 


Mohamed EL Mokhtar Sidi Haiba Universitair

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