lundi 18 juillet 2011

« Les intellectuels faussaires » : Pascal Boniface dénonce les charlatans médiatiques de la pensée










C’est avec une juste sévérité que Pascal Boniface rend compte des aberrations médiatiques de ces dix dernières années dans Les intellectuels faussaires – le triomphe médiatique des experts en mensonge. Des aberrations qui se sont imp osées comme normalité et que diverses personnalités représentatives incarnent dans toute la splendeur de leur malhonnêteté, sinon de leur incompétence cent fois démontrée. L’auteur s’attarde d’ailleurs sur plusieurs personnalités-symptômes des médias des années 2000 : l’insubmersible nul en chef BHL (lire à son sujet l’excellent dossier du Monde Diplomatique), mais encore Val, Adler, Fourest… Un livre intéressant pour qui est peu versé dans l’analyse des médias… mais un livre dans lequel, précisément, Pascal Boniface fait ce qu’il dénonce, s’accaparant sans les citer des travaux qui lui ont été antérieurs et clamant avoir la primeur dans ce combat intellectuel…
Pascal Boniface ne mâche pas ses mots : Frédéric Encel est un « agent d’influence déguisé en professeur », Caroline Fourest une « sérial-menteuse », Bernard-Henri Lévy le « Ben Ali du monde médiatique », etc. Du monde médiatique des années 2000, il fait un état des lieux singulièrement navrant : l’incompétence, l’arrogance, l’anathème, la malhonnêteté non seulement règnent et dominent, mais sont même récompensés.
Il avait fait les frais d’une honteuse campagne d’imputation d’antisémitisme après la divulgation en avril 2001 d’une note interne du Parti socialiste sur le conflit israélo-palestinien (lire le document ici, qui donne envie de se gratter le crâne en se demandant pourquoi de telles réactions). Après l’échec des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens et le début de la deuxième Intifada, les attentats du 11 septembre allaient quelques mois plus tard favoriser la radicalisation du débat. Un débat tombé dans le caniveau des concepts fumeux et du manichéisme le plus atterrant, consistant à décliner l’opposition essentialiste islam/Occident, en injonctions à choisir son camp : civilisation occidentale ou barbarie islamique, bien ou mal, eux ou nous, défense inconditionnelle d’Israël comme avant-poste de la civilisation face aux hordes de la barbarie islamique ou bien « pacifisme munichois ».
Car tout un réseau de lieux communs s’est peu à peu mis en place, parfaitement conforme à la conception néoconservatrice qui à la même époque triomphait aux Etats-Unis et qu’avait préparé Samuel Huntington. Aucune place pour la nuance : et c’est ainsi que s’est imposée une idéologie confite de crasse moraline.
Mais ce n’est pas tant la défense de valeurs auxquelles il n’adhère pas que dénonce Pascal Boniface. C’est plutost la « malhonnêteté intellectuelle en général », celle du mensonge vertueux, consistant au nom du sentiment de mener un juste combat à s’exempter de la rigueur, voire à mentir sciemment. Ce en quoi BHL est un maître absolu. Concepts fumeux (le « fascislamisme » ou l’islam comme « troisième totalitarisme »), mensonges (la menterie de son amitié avec Massoud…), tricheries avec la réalité, anathèmes. Pis : BHL est un homme de réseau, un homme puissant – et c’est bien entendu la raison majeure pour laquelle malgré l’étendue patente de sa nullité et la récurrence de ses ratés (rires de la presse américaine pour son American Vertigo, affaire Botul, etc.) il n’a jamais disparu des médias depuis plus de 30 ans. L’empire médiatique de BHL que décrit Pascal Boniface – après bien d’autres – a des airs de mafia intellectuelle, ne renâclant pas à l’usage du chantage et de la menace, obtenant censures et parfois mise à pied ou renvoi de journalistes, ou encore autocensure (« Les intellectuels faussaires » a été tout de même refusé par 14 éditeurs). C’est peu dire que la notion de « terrorisme intellectuel » est seyante. « Présenter Bernard-Henri Lévy comme un défenseur infatigable des libertés est une imposture. C’est une maccarthyste qui cherche par tous les moyens à faire taire ou exclure du champ public ceux qui ne sont pas d’accord avec lui ».
Mais BHL, ami des puissants (Lagardère, Pinault, tous deux détenteurs de puissants groupes médiatiques), pour être l’une des principales métastases de ce cancer intellectuel, n’en est pas la seule. Il est, certes, l’un des acteurs majeurs de la domination, depuis les années 2000, des idées néoconservatrices dans les médias dominants. A cette vision, beaucoup se sont rattachés : l’auteur ne cite que ceux dont les procédés sont en contradiction avec les beaux principes qu’ils affichent.
Tous, de concert, ont permis que soit constituée comme évidence la notion d’un péril islamiste, d’un islam par essence hostile aux valeurs occidentales, plus précisément à la République et à la laïcité. Ils ont cru et assené l’idée que l’Occident serait menacé par le fanatisme des pays arabes et musulmans. Raison pour laquelle Israël, perçu dans laWeltanschauung néoconservatrice comme le bastion de civilisation face à la barbarie, ne pouvait qu’être défendu aveuglément, quelle que soit l’abjection de ses agissements. Raison pour laquelle toute critique contre Israël était déjà une capitulation face au « nazislamisme »
Toute une clique hyper-visible – autant qu’hyper-nuisible – a contribué à donner son blanc-seing intellectuel à une parole d’hostilité non à des musulmans et arabes abstraits, mais à toute une partie de la population française devenue non plus suspecte mais presque déjà menaçante. Cette parole libérée n’a pas été sans conséquence politique, puisque le sarkozisme a communié dans le racisme décomplexé, aboutissement d’une longue lepénisation des esprits : ministère de l’Identité nationale, « Remettez-les dans les bateaux » (Chantal Brunel, députée UMP), charters, condamnation du ministre Brice Hortefeux pour injure raciale, blagues racistes de Josaine Plataret (députée UMP) sur sa page Facebook, etc.
La réalité humaine de l’Autre s’est effacée derrière le racisme le plus éhonté, non pas dénoncé mais énoncé de concert par ces intellectuels faussaires – par conviction autant que par arrivisme. D’ailleurs, en l’espèce, certains se seront bâti sur le dos des musulmans une belle fortune médiatique. C’est le cas de Caroline Fourest, dont l’absence de rigueur intellectuelle et la mauvaise foi sont exposés dans le chapitre qui lui est consacré. C’est le cas du faux voltairien mais vrai fanatique Philippe Val. C’est ô combien le cas d’Alexandre Adler, maître ès mensonges, erreurs et imputations infamantes… dont Pascal Boniface déplore le gâchis, estimant qu’il aurait pu être l’un des plus grands intellectuels de l’époque. C’est le cas de Mohamed Sifaoui, journaliste d’une scandaleuse incompétence, qui n’ayant pas le professionnalisme de recouper ses sources s’est laissé berner et dans le même mouvement a berné malgré lui médias et public.
Pourtant, à l’édifice raciste qui s’est implacablement constitué une décennie durant, le « Printemps arabe », attestant de la soif de démocratie des peuples tunisien, lybien et syrien entre autres, a apporté un cinglant démenti. Quelques semaines durant lesquelles le retour du réel a révélé la nullité de la pensée des maîtres-censeurs de la presse parisienne.
Tout au long du livre, émerge quelque chose comme l’odeur rance du sentiment largement partagé d’une supériorité de l’Occident et de ses « valeurs universelles ». Devenus des mantras vides de substance, la liberté, la laïcité et la défense des femmes sont les mots de passe obligés pour la parole raciste des néoconservateurs à la française. L’exemple de Frédéric Encel, qui fut pourtant dirigeant du Betar (groupuscule pro-israélien d’extrême-droite connu pour sa violence) et admirateur déclaré de Vladimir Jabotinsky (figure éminente du sionisme d’extrême-droite), est à ce titre parlant.
Et c’est aussi le chemin qu’a pris Marine Le Pen, consciente de ce qu’il était temps de dépouiller le Front national de ce qui le rendait encore inacceptable aux médias : le discours antisémite (Marine Le Pen a reconnu la Shoah, a brandi l’ « héritage judéo-chrétien » de l’Occident) ; elle s’est également ralliée aux discours pro-laïcité et féministe, qui n’étaient pas dans la tradition FN. De fait, plus grand chose ne sépare désormais l’extrême droite des discours qu’ont tenu les « intellectuel faussaires » durant une décennie. Ce qui explique quelque peu la gêne de certains : Caroline Fourest, bien sûr, mais aussi Christophe Barbier de L’Express (non mentionné ici), pour ne citer qu’eux.
A la suite de Paul Nizan, Pascal Boniface dénonce ici une trahison des clercs (c’est-à-dire des intellectuels). Il ne s’agit même pas de bêtise savante, comme l’était celle des gauchistes tiers-mondistes des années 60-70 qu’évoquait Pascal Bruckner en 1983 dans Le sanglot de l’homme blanc. Il s’agit bel et bien de mensonge intentionnel, de chantage, de malhonnêteté intellectuelle, sur fond d’arrivisme, d’intérêts personnels, d’ego surenflés. Il ne s’agit plus de l’eschatologie béate du Grand Soir, mais de la petite lutte des places, où des élites autoproclamées et cooptées ne sont au fond que la plus stricte et répugnante incarnation d’une époque remplaçant l’intérêt collectif à la gloriole égotique, au narcissisme exhibitionniste.
Restent cependant, malgré le caractère impérieusement nécessaire de cette dénonciation, quelques réserves sur Les intellectuels faussaires. On passera outre les nombreuses coquilles qui altèrent le texte, pour signaler surtout que Pascal Boniface s’avère lui aussi un intellectuel à la démarche douteuse. D’abord, il prend dès l’introduction une attitude de rodomont, proclamant que ce combat contre les faussaires devait être mené et qu’il n’était que trop temps, en somme, que quelqu’un ose s’y coller : « J’ai longtemps hésité à rédiger cet ouvrage. En fait, j’ai attendu qu’un autre s’attelle à la tâche ».
C’est tout de même « oublier » l’énorme travail réalisé à la suite de la parution de Sur la télévision(Pierre Bourdieu) et des Nouveaux chiens de garde (Serge Halimi) en 1996 et 1997. Il y a Acrimed, site de référence de l’analyse critique des médias depuis 1996. Il y a eu PLPL puis Plan B, canard insolent et salutaire ; il y a eu l’Almanach critique des médias ; il existe des sites de référence comme Les Mots Sont Importants, le blog du journaliste de Politis Sébastien Fontenelle (Vive le Feu) ; il y a eu des documentaires précieux de Pierre Carles (par exemple Fin de concession), des émissions de radio de Daniel Mermet (Là-bas si j’y suis), des livres comme Les petits soldats du journalisme de François Ruffin, Les éditocratesL’islam imaginaire de Thomas Deltombe, La LQRd’Eric Hazan ou encore BHL – une imposture française de Nicolas Beau et Olivier Toscer… C’est sans compter, en outre, que la critique des médias est devenue partie intégrante de nombreux travaux critiques, comme ceux de l’excellente Mona Chollet (Périphéries.net), de François Ruffin (Fakir) ou du Monde diplomatique de Serge Halimi.
Il est donc peu honnête de la part de Pascal Boniface de vouloir s’arroger un « travail rarement fait » car il est loin, très loin d’être le premier ni le plus pertinent en la matière. Un récent article du site Acrimed révèle d’ailleurs que certains passages s’avèrent des quasi plagiats d’articles publiés, sans être cités. De fait, le mérite du livre en pâtit quelque peu…

Pascal Boniface, Les intellectuels faussaires – le triomphe médiatique des experts en mensonge, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2011, 19,80€.



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