René Naba
Dix ans après l’Irak, la Syrie est à son tour, en cet été 2013, la cible d’une offensive du camp atlantiste avec la caution des pétromonarchies du Golfe, scellant dans le sang et la destruction l’ahurissante mutation du dialogue euro-arabe en partenariat militaire islamo atlantiste contre des pays arabes séculiers.
En dix ans, outre les deux pays baasistes, la Libye a été détruite par une coalition des anciennes puissances coloniales occidentales et leurs obligés monarchiques arabes; le Soudan démantelé au mépris du principe de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme, aménageant une double plateforme opérationnelle israélienne aux deux extrémités du Monde arabe, au Sud Soudan, sur la versant africain du Monde arabe, dans le périmètre du Nil, la veine jugulaire de l’Egypte, au Kurdistan irakien, à la charnière de l’Irak et de l’Iran.
La guerre déclenchée contre l’Irak (2003) et contre la Syrie (20123) au prétexte des armes chimiques est menée à titre préventif par les Etats Unis, un pays qui en a fait abusivement usage au Vietnam (agent Orange), qui a aidé l’Irakien Saddam Hussein à en faire usage contre l’Iran, dans la bataille de Hallabja (1980-1989), qui a fait usage abusif d’une autre arme de destruction massive également prohibée, l’uranium appauvri en Irak (2003-2005) dans sa guerre mondiale contre le terrorisme, quand bien même il a souscrit au Traité sur l’interdiction de l’usage des armes chimiques. Chef de file de la coalition occidentale, les Etats Unis sont activement secondés par la France et le Royaume Uni, les deux anciennes puissances coloniales de la zone, au lourd passif colonial.
L’arme chimique, dans ce contexte, apparait comme une variable d‘ajustement structurel, invoquée au gré des nécessités et dans le cas d’espèce pour voler au secours de l’opposition off-shore syrienne en perte de vitesse. De par sa subite programmation, le ciblage de la Syrie apparait comme un dérivatif à la déconfiture de la diplomatie occidentale en Egypte, en ce qu’il offre la possibilité d’éviter un affrontement avec l’Arabie saoudite, principal souteneur du putsch militaire égyptien, en promouvant une convergence saoudo occidentale sur leur ennemi commun, la Syrie, déjà abondamment diabolisée par les médias occidentaux.
Deux personnalités syriennes de premier plan, Moaz Al Khatib, l’ancien chef de la coalition de l’opposition syrienne, un religieux nationaliste qui a démissionné de son poste pour protester contre les ingérences du Qatar dans les affaires de l’opposition, ainsi que Haytham Mannah, chef de l’opposition démocratique syrienne ont mis en garde contre les graves répercussions d’une intervention occidentale dans un pays au nationalisme chatouilleux. M. Mannah n’a pas hésité à mettre en doute la version occidentale de l’usage de l’arme chimique en territoire syrien.
http://www.levif.be/info/actualite/international/syrie-les-attaques-chimiques-sont-un-coup-monte/article-4000384171801.htm
C’est d’ailleurs l’intervention intempestive de la France et de la Turquie les deux complices du démembrement de la Syrie, à la fin de la 1 ère Guerre mondiale (1914-1918) qui a dévoyé la révolte populaire syrienne de son cours révolutionnaire et projeté dans l’impasse. http://www.renenaba.com/la-controverse-a-propos-de-basma-kodmani/
Au-delà du bien-fondé des accusations sur la réalité de l’usage des armes chimiques par le pouvoir baasiste, l’intervention occidentale viserait au premier chef à améliorer les positions de combat de la rébellion syrienne, en perte de vitesse depuis près d’un an du fait de ses divisons et de la surenchère djihadiste, à placer sur la défensive l’axe de la contestation à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone (Iran, Syrie, Hezbollah), en vue de créer les conditions d’une négociation en position de force avec leurs adversaires, à provoquer la finlandisation de la zone au bénéfice du camp atlantiste.
Les bruits de botte contre Damas se sont accompagnées de négociations intensives entre les Etats Unis et l’Iran. Via le Sultan d’Oman Kabous Ben Saïd, d’abord, qui aurait proposé à l’Iran de contourner l’embargo pétrolier dont il est l’objet en commercialisant à sa place ses quotas de brut sur le marché mondial; Par l’entremise de Jeffrey Feltmann, l’ancien proconsul américain au Liban et âme damné de Saad Hariri, qui a séjourné les 25 et 26 aout à Téhéran pour nouer, en vain, des négociations globales tant sur le nucléaire iranien que sur la Syrie. En termes moins diplomatique, le troc américain visait à obtenir le lâchage du président syrien Bachar Al Assad par l’Iran, en contrepartie de l’assouplissement de l’embargo économique et une prise en compte des Occidentaux des intérêts légitimes de l’Iran dans le domaine de la technologie nucléaire. Les Iraniens, joueurs d’échec émérite, visent visiblement un «échec et mat», pariant sur un nouvel enlisement occidentale dans la zone, qu’ils espèrent fatal cette fois-ci.
Officiellement, les Occidentaux entendent «punir» le pouvoir baasiste de son usage de l’arme chimique en ciblant des sites prédéterminés. Rien n’interdit de penser que leur vœu secret soit qu’une de leurs «bombes intelligentes» ne projettent dans l’au-delà un homme qui leur a tenu la dragée haute depuis deux ans, mis un terme à l’unilatéralisme américain en vigueur sur la scène internationale depuis deux décennies avec le double véto russo-chinois au Conseil de sécurité, infligeant un magistral camouflet à l’ensemble de la diplomatie occidentale, et révélé, enfin, par défaut, les turpitudes de l’opposition qui se propose de prendre sa relève.. .. Du cannibalisme, à la prédation des pubères syriennes, au djihadisme erratique.
De «l’expédition punitive de Suez», en 1956, selon l’expression du premier ministre socialiste de l‘époque Guy Mollet, aux «mesures coercitives» contre le Hezbollah, en 2006, selon l’expression de Jacques Chirac le pensionnaire posthume de son ami le milliardaire saoudo libanais Rafic Hariri, à la «punition» de l’expression du placide socialiste François Hollande, le lexique politique français abonde d’expressions belliqueuses à l’égard de leurs cibles de la sphère arabo musulmane quand bien même les dernières guerres post coloniales ont bénéficié de la caution des pétromonarchies arabes, qui apparaissent rétrospectivement, et au vu de leurs performances, comme les «meilleurs chiens de garde» des intérêts occidentaux dans la zone arabo musulmane.
L’expédition de Syrie intervient alors que l’Amérique s’apprête à finaliser son dégagement d’Afghanistan, au terme d’une décennie meurtrière d’une guerre mondiale contre le terrorisme, qui a laissé exsangue la première puissance planétaire de tous les temps, avec une crise systémique de l’économie occidentale (crise bancaire américaine et crise systémique de l’endettement européen), en vive compétition avec les nouvelles puissances du monde multipolaire du BRICS (Brésil, Inde, Chine Russie, Afrique du Sud). Son expéditif sous-jacent est d’aménager une tête de pont, sur le modèle de Benghazi durant le combat anti Kadhafi, en 2012, qui permettrait le déploiement des troupes occidentales sur le territoire syrien sans l’aval de l’ONU, à l’effet de propulser l‘opposition syrienne vers le pouvoir, en vue de se dégager du fardeau qu’elle représente.
L’intervention en Syrie a été précédée par une manouvre de diversion sur le flanc méridional de la Syrie, le Liban, où une opération de déstabilisation est engagée depuis deux mois avec un double attentats dans le secteur sud de Beyrouth, zone de déploiement du Hezbollah, le principal allié de Damas, et une tentative d’infiltration de la brigade d’élite de l’armée israélienne la brigade Golani dans la zone frontalière israélo-libanaise.
A ce jour jamais pris en défaut, le Hezbollah a réussi jusqu’ici à déjouer ces menées, se posant en acteur majeur de l’équation régionale.
Surréalisme politique? Démocratie factice ? Pur produit de sa politique de «déstabilisation constructive»? … Tous les nouveaux alliés de l’Occident dans la sphère arabo musulmane se trouvent en état de perfusion permanente de Hamid Karzai, (Afghanistan) à Mahmoud Abbas (Palestine) à Saad Hariri (Liban) à Ahmad Jarba (Syrie), y compris les pétromonarchies du golfe, principalement l’Arabie Saoudite et le Qatar, parmi les principaux foyers de la régression et de la répression dans le Monde, les principaux d’islamophobie dans le monde et néanmoins les meilleurs amis des «Grandes démocraties occidentales».
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