15 avril par Renaud Vivien
Le 16 avril, le Parlement européen aura la possibilité de modifier le projet de prêt élaboré par la Commission européenne censé aider la Tunisie à faire face à ses difficultés économiques et sociales croissantes. Une occasion à ne pas rater pour ces parlementaires qui n’ont, en revanche, pas eu leur mot à dire sur le contenu de l’ « aide » de l’Union européenne (UE) à l’Ukraine. Comme pour l’Ukraine, l’ « aide » de 300 millions d’euros à la Tunisie telle que présentée dans la proposition de la Commission européenne est une imposture qui va à l’encontre des engagements de l’UE et qui s’aligne totalement sur les politiques néo-libérales du FMI.
Tout d’abord, cette « aide » aggrave l’endettement de ces pays car, contrairement à ce qu’elle prétend être, elle ne contient aucune part de don. Pourtant, le poids de la dette étouffe déjà les populations tunisienne et ukrainienne. En 2013, le remboursement de la dette tunisienne représentait sept fois le budget pour la formation professionnelle et l’emploi et trois fois celui de la santé.
Ensuite, cette « aide » vise à ce que la Tunisie et l’Ukraine remboursent en priorité les dettes contractées par les gouvernements précédents. En Tunisie, près de 85% des nouveaux crédits contractés depuis l’insurrection révolutionnaire de 2011 ont été affectés au remboursement de la dette contractée par le régime de Ben Ali. Or, cette dette est « odieuse » selon les termes mêmes de deux résolutions adoptées par le Parlement européen. En Ukraine, les prêts du FMI, de l’UE et de la Banque européenne d’investissement (BEI) visent également à empêcher le défaut de paiement de ce pays qui doit rembourser rien que pour cette année 7,3 milliards d’euros à ses créanciers (principalement des banques privées). Alors que l’urgence est sociale, ces prêts n’aident en réalité que les créanciers et vont aggraver les conditions de vie des populations du fait du poids du remboursement de cette dette mais aussi en raison des conditionnalités dictées par le FMI.
En En contrepartie des prêts octroyés à l’Ukraine pour rembourser ses vieilles dettes, le gouvernement provisoire doit, en effet, respecter à la lettre les injonctions du FMI : augmenter de 50 % le prix du gaz dès le 1er mai 2014, geler les retraites et les salaires des fonctionnaires mais aussi supprimer 24 000 postes de fonctionnaires. Même chose en Tunisie où le gouvernement provisoire a conclu avec le FMI en avril 2013 un programme d’ajustement structurel de trois ans qui prévoit la recapitalisation des banques tunisiennes en vue de les privatiser, la révision du Code du travail pour réduire davantage les droits des travailleurs, la baisse des salaires et le gel de l’emploi dans la fonction publique, la réforme du système de couverture sociale et l’allongement de l’âge de départ à la retraite. Le FMI exige également l’arrêt progressif de toute subvention aux produits alimentaires et aux sources d’énergie de consommation populaire alors que le quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Dans le même temps, le programme du FMI prévoit de baisser l’impôt sur les profits des sociétés et de renforcer le système d’exonérations fiscales dont bénéficient les transnationales opérant en Tunisie.
Alors que ces mesures anti-sociales correspondent aux recettes classiques de l’austérité imposées par le FMI aux pays du Sud depuis plus de trente ans et à plusieurs pays européens depuis la crise de 2008, le FMI continue à imposer cette voie qui conduit à la fois à l’augmentation de la pauvreté, des inégalités et de la dette publique. Rappelons que le FMI a reconnu lui-même dans un rapport récent l’échec de cette politique d’austérité menée conjointement avec l’UE et la Banque centrale européenne en Grèce. Force est donc de constater que ses propres rapports n’ont aucun effet sur la direction de cette institution ni sur la Commission européenne puisque cette dernière n’accepte d’accorder des prêts que si les pays se soumettent préalablement au diktat du FMI. C’est notamment le cas de l’Ukraine et de la Tunisie.
Toutefois, le 16 avril, le Parlement européen a le pouvoir de s’y opposer en votant pour l’élimination de toutes les conditionnalités du FMI attachées au prêt de l’UE à la Tunisie. C’est le minimum que les parlementaires puissent faire s’ils veulent réellement aider le peuple tunisien et s’ils sont vraiment soucieux de la démocratie et respectueux de la souveraineté de la Tunisie.
En effet, les mesures du FMI reprises dans la proposition de la Commission européenne n’ont aucune légitimité démocratique. D’une part, l’accord avec le FMI qui engage la Tunisie sur trois ans a été conclu en 2013 par un gouvernement en « affaires courantes » qui n’avait donc aucune légitimité pour prendre une telle décision. Le FMI le sait mais son objectif n’est pas de soutenir la transition démocratique. Son but est de maintenir ce pays sous sa tutelle quel que soit le résultat des élections législatives prévues cette année. Cette stratégie a également été utilisée en Ukraine car le prêt empoisonné du FMI intervient moins de deux mois avant les prochaines élections présidentielles.
D’autre part, les mesures dictées par le FMI ne bénéficient pas de l’appui de la population tunisienne. Pour preuve : l’application de ces mesures a entraîné en janvier dernier un mouvement de contestation populaire qui a gagné toute la Tunisie, faisant reculer (provisoirement) l’actuel gouvernement composé de technocrates.
Enfin, le projet de prêt de l’UE est dénoncé par plusieurs mouvements sociaux et partis politiques tunisiens qui le qualifient de « toxique » du fait des conditionnalités du FMI |1|. Ils appellent les parlementaires européens à supprimer ces mesures d’austérité ainsi qu’à annuler la dette odieuse de la Tunisie héritée de l’ère Ben Ali. C’est seulement à ces conditions que l’UE pourra prétendre aider le peuple tunisien.
Notes
http://cadtm.org/L-Union-europeenne-face-a-la
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