mercredi 9 avril 2014

Moyen Âge latin : la brûlure de l’héritage islamique

Seyfeddine Ben Mansour

Le mardi 1er avril 2014 s’est éteint à Paris le plus grand médiéviste français. Jacques Le Goff appartenait à la lignée de ces grands historiens que furent Marc Bloch, Lucien Febvre, Fernand Braudel et Georges Duby.
Du Moyen Âge, période qu’il a embrassée une vie de chercheur durant, il a su montrer les lumières, dans un Occident conçu aujourd’hui encore comme alors globalement sombre.
On pourrait en effet s’étonner qu’un adjectif comme «moyenâgeux», par exemple, réfère à l’arriération et à l’obscurantisme, quand, dans le même temps, la période qui précède immédiatement, l’Antiquité est, elle, survalorisée. Sans doute faudrait-il ici introduire un troisième terme : les musulmans. Le Moyen Âge correspond à leur apogée.

Les infidèles «Sarrasins»

La suprématie intellectuelle, scientifique, technique, mais aussi militaire et donc territoriale était le fait des infidèles, de ces «Sarrasins» qui, de l’Espagne à la Syrie, possédaient au VIIIe siècle déjà, la majeure partie de ce qui fut l’Empire romain chrétien…

De cette humiliation, découle sans doute cette ambivalence, cette attirance et cette répulsion qu’éprouva la chrétienté latine du Moyen âge pour le monde islamique. Elle devrait de même tout autant expliquer le relatif mépris pour le Moyen Âge et le rejet, aux racines profondes, de l’Autre par excellence qu’a été longtemps le musulman.
Continuer aujourd’hui encore d’employer le terme «Sarrasins» (vieil appellatif d’origine grecque) pour désigner les Arabes du Moyen âge, lorsque dans le même temps on n’hésite pas à employer l’ethnique «Arabe» s’agissant de la période antéislamique, relève sans doute de ce double mouvement fait de mépris et de déni.
De même la date de 732, que ne fait défaut à aucune chronologie de l’Histoire de France, fût-elle des plus succinctes. La fameuse bataille de Poitiers n’a pourtant pas stoppé des Arabes qui, du reste, n’avaient pas l’intention de coloniser cette partie de ce qui allait devenir la France. L’éclat idéologique de cette date, et le «blanchiment» consécutif de l’image de Charles Martel, un pilleur excommunié par le pape Léon III, occulteront d’autres faits autrement plus probants : l’annexion de la Septimanie (plus ou moins le Languedoc-Roussillon actuel), devenue une province arabe au VIIIsiècle et l’existence au Xe siècle d’un micro-Etat arabo-musulman dans le golfe de Saint-Tropez.

Une présence musulmane structurée

Cette présence arabe se perpétuera au-delà du Xe siècle. Sur l'une des stèles funéraires musulmanes datant des XIe et XIIsiècles mises au jour à Aniane dans l’Hérault, et au centre de Montpellier, on peut notamment lire : «Ceci est la tombe du faqih de l’année 533 [de l’Hégire, soit 1138]». L’existence d’un spécialiste du droit musulman suppose une communauté musulmane structurée et durablement installée.

La présence arabe a d’ailleurs été suffisamment longue pour avoir laissé une trace dans la toponymie locale, comme en témoignent les nombreux composés en «Maure», dont notamment le fameux Massif des Maures.
«C’est à des infidèles que l’Europe chrétienne doit d’être sortie de la barbarie»
Sur le plan de la langue, les mots empruntés à l’arabe, – autour de 400, relevant essentiellement des domaines scientifique et technique – sont plus nombreux que ceux d’origine gauloise.
«Ce sont les traductions des livres arabes, surtout ceux relatifs aux sciences, qui servirent de base à peu près exclusive à l’enseignement des universités de l’Europe pendant cinq à six cent ans» rappelle l’anthropologue et sociologue Gustave Le Bon, qui conclut ainsi : «Il semblera toujours humiliant à certains esprits de songer que c’est à des infidèles que l’Europe chrétienne doit d’être sortie de la barbarie, et une chose si humiliante en apparence ne sera que bien difficilement admise.»
http://www.zamanfrance.fr/article/moyen-age-latin-brulure-lheritage-islamique-8975.html

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