L’anti-Kissinger Donald Rumsfeld, un Florentin au pouvoir par Paul Labarique Habile manœuvrier, Donald Rumsfeld s’est opposé au sein du Parti républicain au réalisme d’Henry Kissinger. Loin d’être belliciste par idéologie, ce disciple de Machiavel s’est fait faucon pour faire rêver les États-uniens de grandeur après l’humiliation du Vietnam. Mêlant politique et affaires avec son ami Franck Carlucci, il a accumulé influence et fortune. Écarté de la course à |
12 octobre 2004 | Né en 1932, Donald Rumsfeld est le fils de George Rumsfeld, un agent immobilier de Chicago. Le jeune Donald effectue ses études à New Trier High School, où il devient la vedette de l’équipe de lutte, championne de l’État. À Princeton, il sera même le capitaine de l’équipe, un poste occupé, deux ans plus tôt, par son camarade de chambre lui aussi promis à un brillant avenir, Frank Carlucci. En 1956, il manque d’être sélectionné pour les Jeux Olympiques dans cette discipline, mais doit renoncer pour cause de blessure. Il devient attaché parlementaire au Congrès, tout en étant consultant pour la banque d’investissement AG Becker, avant de se lancer lui-même dans la compétition politique. En 1962, il est candidat lors d’une primaire républicaine de Chicago, face à un responsable d’une compagnie d’assurance soumise à une enquête fédérale. L’un des assistants de Rumsfeld à l’époque, Jeb Stuart Magruder, fait en sorte que de nombreuses questions soient posées au candidat sur ce scandale. Magruder sera plus tard accusé de parjure dans l’affaire du Watergate. Mais le travail qu’il a accompli est payant : Rumsfeld remporte la primaire, et le siège de Congressman. Ascension républicaine Au Congrès, il se révèle comme beaucoup de Républicains un conservateur économique et un modéré sur le plan social. Il soutient la législation sur les droits civils, et mène le combat pour le remplacement de la conscription par une armée de métier. Cependant son domaine de prédilection reste les questions de sécurité nationale. Il participe ainsi au House Committee on Science and Astronautics, qui s’intéresse aux programmes de Après la cinglante défaite de Barry Goldwater en 1964, il mène la révolte des Républicains souhaitant un changement à la présidence du parti, occupée par Charles Halleck. À la tête d’un groupe de Congressman républicains, notamment Charles Goodell, Robert Griffin, Albert Quie et Robert Ellsworth, il parvient à le faire remplacer par Gerald Ford, dont il devient un des plus proches conseillers. Pour faciliter l’élection d’un Républicain à La vraie-fausse période « libérale » de Rumsfeld Humphrey est aisément écrasé par Nixon, qui remporte près de 40 États sur 50, malgré un nombre de voix comparable à celui du candidat démocrate. Après cette victoire, à laquelle il a notamment participée en tant que porte-parole des Républicains, Rumsfeld espère poursuivre son ascension politique. Mais son ambition et son soutien à Gerald Ford lui ont valu de solides inimitiés au sein de l’équipe de Nixon : pour preuve, il est écarté du poste de président du Parti républicain par Bob Haldeman, ainsi que de nombreux postes de l’administration présidentielle. Il obtient finalement la présidence de l’Office of Economic Opportunity (Bureau de l’équité économique) bien qu’il soit très critique envers les lois anti-pauvreté. Il négocie en plus un poste d’assistant présidentiel et un bureau à La politique de Rumsfeld à la tête de l’agence anti-pauvreté permet à la presse de le qualifier de « libéral ». Une étiquette qui peut lui nuire au sein du Parti républicain. Il choisit donc, fin 1970, de se rapprocher du pouvoir, et obtient un poste de conseiller du président, à L’époque est difficile : l’armée états-unienne est embourbée au Vietnam sans espoir de victoire, tandis que la guerre devient impopulaire. Des dissensions apparaissent au sein même de l’administration présidentielle. Donald Rumsfeld préconise de ne pas s’entêter dans une voie sans issue et de se retirer. Il convainc un petit groupe comprenant George P. Shultz, alors directeur de l’Office of Management and Budget ; Clark MacGregor, conseiller pour les relations avec le Congrès ; et John Ehrlichman, en charge de la politique intérieure, de faire pression sur le président. Au point qu’en avril 1971, Richard Nixon irrité envisage de se séparer de Rumsfeld, ce dont le dissuadent son conseiller Henry A. Kissinger et le secrétaire général de Rumsfeld accepte, mais les proches conseillers du président lui réclament d’attendre la fin de la campagne présidentielle, pour laquelle le jeune loup politique pourrait être utile. En effet, il est alors très proche de John Mitchell et Charles Colson, deux spécialistes des « coups politiques » travaillant pour Nixon. D’après les enregistrements secrets de En 1973 et 1974, Rumsfeld est en Europe, à l’OTAN, lorsqu’éclate le scandale du Watergate. Épargné par la tourmente, il propose tout de même à Nixon de lui apporter de l’aide dans ce dossier. Car malgré les tensions inhérentes à l’exercice du pouvoir, une certaine complicité unit les deux hommes. Nixon respecte ceux qui acceptent de jouer la compétition politique, et notamment d’en affronter les échecs qui ont jalonné son propre parcours. À cet égard, Rumsfeld diffère des autres conseillers du président tels que Haldeman, Ehrlichman et Kissinger, qui se satisfont de leur statut d’ « hommes de l’ombre ». De plus, Rumsfeld est considéré comme une excellente vitrine publique pour L’anti-Kissinger Rumsfeld appelle immédiatement son plus proche conseiller à Washington, Richard Cheney, qui a profité du départ de son supérieur en Europe pour faire une incursion dans le monde des affaires, au sein d’une société de conseil. La nouvelle équipe dirigée par Gerald Ford se voit confier une mission simple : réorganiser Les deux hommes deviennent rapidement des figures prédominantes de l’administration Ford. Un mois après sa prise de fonction, Gerald Ford nomme Donald Rumsfeld secrétaire général de Le duo infernal va œuvrer lentement mais sûrement à mettre sur la touche l’encombrant Henry Kissinger. Rumsfeld s’attaque tout d’abord aux alliés de Kissinger, notamment Nelson Rockefeller, pourtant vice-président, et à son directeur de cabinet, Bob Hartmann. En novembre 1975, la popularité de Gerald Ford est au plus bas. Il décide de trancher les contradictions de son équipe en satisfaisant à la fois l’opinion publique et le complexe militaro-industriel. Il limoge son secrétaire à Donald Rumsfeld, Gerald Ford et Dick Cheney Simultanément, il confirme Henry Kissinger comme secrétaire d’État pour mieux le contraindre à renoncer à son poste de Conseiller de sécurité nationale, auquel il promeut son adjoint, le général Brent Scowcroft. Il démissionne William Colby de la direction de Abandonnant la posture libérale qui était la sienne lorsque l’opinion publique voulait quitter le Vietnam, le nouveau Secrétaire à Pharmacien Privé du jour au lendemain de responsabilités politiques, sans mandat, Donald Rumsfeld se résigne alors comme la plupart des responsables états-uniens : il tente sa chance dans le monde des affaires. C’est la société pharmaceutique de Chicago G.D. Searle & Company, en très grande difficulté financière, qui lui en donne l’occasion. Le groupe est au bord de la faillite, les actions sont passées de 110 à 12 dollars et Rumsfeld n’abandonne pas pour autant totalement l’arène politique. En 1979, lorsque l’administration Carter présente un nouveau Traité sur la limitation des armements stratégiques (SALT), il témoigne publiquement son hostilité au projet devant le Sénat, et appelle au contraire à une augmentation de 40 milliards des dépenses militaires. Selon une rhétorique qu’il réutilisera plus tard au sein de l’administration Bush, il affirme que « la situation de notre nation est beaucoup plus dangereuse aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été depuis que Neville Chamberlain a quitté Munich, rendant possible Tournée au Proche-Orient Pendant deux ans, l’ancien secrétaire à Rumsfeld accepte de rejoindre le conseil d’administration de Sears World Trade (SWT) une société de commerce international dirigée par son ami de toujours Frank Carlucci. En réalité, SWT est une couverture de L’attentat contre l’ambassade états-unienne de Beyrouth, le 18 avril 1983, qui fait près de trois cent victimes états-uniennes, sera l’occasion pour Rumsfeld de se remettre en selle : il est nommé émissaire spécial au Proche-Orient par Ronald Reagan, et chargé de trouver une issue à la guerre civile au Liban. Le diplomate entame immédiatement une tournée dans la région, en commençant par l’Irak. Un choix singulier, puisque les États-Unis n’avaient plus entretenu de relations diplomatiques avec ce pays depuis la guerre des Six jours de 1967. Les 19 et 20 décembre 1983, Rumsfeld rencontre le vice-Premier ministre Tarik Aziz, puis le président Saddam Hussein. Des entretiens concluants : selon le courrier diplomatique qu’il envoie à Washington, la rencontre « marque un jalon positif dans le développement des relations entre les États-Unis et l’Irak et se révélera être un plus pour la position US dans la région ». Donald Rumsfeld, VRP en armes de destruction massive Washington cherche à l’époque à utiliser le régime de Saddam Hussein comme balancier au régime de Téhéran, qui a totalement échappé à son contrôle. Il est également déjà question de questions énergétiques : Rumsfeld évoque avec le président Hussein un projet de pipeline élaboré par la compagnie Bechtel, dont - heureux hasard... - George Shultz était le PDG jusqu’à son entrée dans l’administration Reagan [5]. L’Irak de son côté, souhaite que les États-Unis fassent respecter l’interdiction faite à la communauté internationale de vendre des armes à l’Iran, en pleine guerre Iran-Irak. De retour à Washington après sa tournée diplomatique, Rumsfeld met en garde contre l’aveuglement du Pentagone sur le Proche-Orient qui pourrait, selon lui, tomber sous le contrôle de l’Iran. Ses critiques s’adressent directement à l’équipe Weinberger, du Département de Bien qu’il continue à mener une carrière dans le secteur privé, Rumsfeld reste une figure importante de l’appareil d’État états-unien. En témoigne sa participation aux simulations de coup d’État réalisées sous Reagan. Officiellement, il s’agit de préparer la continuité de l’exécutif en cas de « décapitation » du pouvoir en place par une attaque soviétique. En réalité, ce qui est ainsi préparé, c’est l’éventualité d’un coup d’État fomenté par le vice-président - et ancien directeur de Intérêts privés Rumsfeld reste donc dans le sillage de l’appareil d’État. Au point que lorsque sa société, G.D. Searle & Company, est rachetée à la mi-1985 par Monsanto, il cesse d’y travailler et envisage sérieusement de se présenter à la primaire républicaine de 1988 face au vice-Président George H. W. Bush. Il est alors soutenu par la branche la plus conservatrice de l’appareil républicain et par plusieurs figures de l’administration Reagan tels que Frank Carlucci, devenu secrétaire à Malheureusement pour Rumsfeld, le contexte politique ne lui est pas favorable : assimilé aux reaganiens de l’ancienne école, il est concurrencé par le candidat des reaganiens ultra-libéraux, Jack Kemp, également soutenu par des personnalités néo-conservatrices telles que William Kristol. Il doit aussi faire avec la candidature du révérend Pat Robertson, de Beaucoup le donnent perdu pour la politique. Il rejoint en conséquence le secteur privé pour une longue période. En 1990, alors que son ami Carlucci a déjà pris la direction du Carlyle Group, il est nommé président-directeur général de General Instrument Corporation, une société de câbles et communication. Pendant trois ans, il mène la société à la réussite financière, grâce à ses contacts politiques. Il obtient les faveurs de Les méthodes de Donald Rumsfeld en matière de trafic d’influence dépassent celles habituellement rencontrées en Europe. Certaines « affaires » restées au rang d’hypothèses laissent particulièrement perplexes. C’est le cas du bombardement de l’usine pharmaceutique d’Al-Shifa au Soudan par l’administration Clinton, le 20 août 1998. Sous couvert de détruire un centre de fabrication d’armes de destruction massive, c’est en réalité une usine fabricant des médicaments génériques qui a été mise hors d’état de nuire, notamment aux affaires de Gilead, elle-même productrice de médicaments anti-malaria et anti-sida, tout comme Al Shifa. La panique de l’anthrax, en octobre 2001, outre le fait qu’elle accrédita l’idée d’une menace terroriste islamiste aux États-Unis, permit également à Gilead de faire d’excellentes affaires, en augmentant ses ventes de vaccin anti-variolique au Pentagone. Ce qui contribue à la formidable valorisation du groupe, racheté en 2002 par Karl Hostetler pour la coquette somme de 460 millions de dollars [11]. À la conquête de Les succès financiers de Rumsfeld n’étouffent pas son ambition politique. Au printemps 1996, il accepte de diriger la campagne de Bob Dole. Dans le cadre de ses fonctions, il fait la connaissance de Paul Wolfowitz, qu’il charge d’écrire les discours portant sur la politique étrangère [12]. C’est un nouvel échec pour Rumsfeld : le 20 janvier 1997, le démocrate Bill Clinton est reconduit dans ses fonctions de président des États-Unis. Le duo Wolfowitz-Rumsfeld n’en pâtira pas, bien au contraire. Bob Dole et Donald Rumsfeld Les efforts jusqu’ici inutiles de Rumsfeld pour accéder à Les travaux menés par cette équipe, qui œuvre en parallèle au groupe des Vulcains [13], s’appuient par ailleurs sur ceux réalisés par la commission d’enquête du Congrès, présidée par Rumsfeld et chargée d’évaluer la probabilité d’une attaque balistique contre les États-Unis. Montée sur le modèle de l’« Équipe B » sur l’URSS [14], cette commission doit en réalité surtout accréditer l’idée d’une possible frappe par un missile ennemi contre les États-Unis. Ceci afin de justifier les dépenses militaires demandées par les Républicains pour la mise en œuvre du bouclier anti-missiles. Paul Wolfowitz, expert en menaces imaginaires, siège naturellement aux côtés de Donald Rumsfeld. D’après les conclusions des parlementaires, cette menace est bien réelle, surtout de la part de pays tels que Dans son rapport final, présenté à la presse le 11 janvier 2001, [1] Voir « Des V2 à la Lune », par Paul Labarique, Voltaire, 24 août 2004. [2] Voir « CSIS, les croisés du pétrole », Voltaire, 6 juillet 2004. [3] Au cours des vingt années suivantes, [4] « Le Carlyle Group, une affaire d’initiés », Voltaire, 9 février 2004. [5] « La face cachée de Donald Rumsfeld », op.cit. [6] « The Attempted Coup d’État of March 30, 1981 », in George Bush : The Unauthorized Biography, de Webster G. Tarpley & Anton Chaitkin. [7] L’ordre de succession était alors constitutionnellement et légalement le suivant : le vice-Président, puis le Speaker de [8] « Rummy’s North Korea Connection », par Richard Behard, Fortune, 28 avril 2003. [9] « La face cachée de Donald Rumsfeld », op.cit. [10] Dans un livre paru en 1985, The Handmaid’s Tale, de Margaret Atwood, Gilead est le nom donné aux États-Unis après qu’une dictature militaire, portée par une population prête à échanger ses droits contre sa sécurité, y eut pris le pouvoir. (« La face cachée de Donald Rumsfeld », op.cit.). [11] Voir « Intoxication à l’anthrax », par Paul Labarique, Voltaire, 10 mars 2004. [12] « Paul Wolfowitz, l’âme du Pentagone », par Paul Labarique, Voltaire, 4 octobre 2004. [13] Le groupe des Vulcains, créé par Condoleezza Rice pour conseiller le candidat Bush sur les questions internationales, comprend, outre elle, Paul Wolfowitz, Richard Armitage, Richard Perle et Dov Zakheim. [14] Cette équipe B, constituée en 1976 par le directeur de |
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