mercredi 5 juin 2013

RCD : CONTRE L'OUBLI (Torture archiveFIDH Nov 1998)


Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme
Novembre 1998
N° 267
RapportHors série de la Lettre bimensuelle de la FIDH
ONU : Comité contre la Torture
Tunisie : "des violations caracterisées, graves et systematiques"

Rapport alternatif au deuxième rapport périodique de la Tunisie au Comité contre la torture de l'ONU (21e session - 9 au 20 novembre 1998)
Réalisé par la FIDH en collaboration avec la ligue Tunisienne de défense des droits de l'Homme et le comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l'Homme en Tunisie.

Introduction :Etat de l'application de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant en Tunisie.
Première partie :La réalité de la torture en Tunisie
Deuxième partie :Remarques à propos du rapport du gouvernement tunisien
Troisième partieTémoignages

Introduction (résumé)
Plus de huit ans après l’examen, le 25 avril 1990, du rapport initial présenté par le gouvernement tunisien en application de l’article 19 de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Comité contre la torture doit examiner, lors de sa session de novembre 1998, le deuxième rapport périodique qui aurait dû lui être soumis en 1993.
Cet énorme retard est d’autant moins fortuit que le gouvernement tunisien a mis en place, depuis le début de la décennie, un dispositif de communication extérieure et d’intervention diplomatique doté de moyens importants et dont l’objectif est de tenter d’améliorer son image en matière de promotion et de protection des droits de l'Homme notamment au sein des organes de l’ONU.
Le retard pris dans la présentation du rapport devant le Comité contre la torture est, en réalité, révélateur de l’embarras des autorités gouvernementales tunisiennes de rendre compte des conditions d’application, au niveau des textes mais surtout dans les faits, de la Convention internationale contre la torture.
La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a eu l’occasion, au cours de ces dernières années, de mettre l’accent - conjointement avec les principales organisations internationales non gouvernementales des droits de l'Homme - sur la dégradation constante des droits de l'Homme en Tunisie. La confiscation par le gouvernement tunisien du discours sur la promotion des droits de l'Homme et sa volonté d’imposer l’image d’un Etat respectueux des libertés et d’une démocratie pluraliste se sont accompagnées, en effet, d’un durcissement des lois au mépris des normes internationales, ainsi que de la multiplication des atteintes graves aux droits et libertés fondamentales. Abondamment proclamés dans la langue de bois de la propagande officielle, les droits de l'Homme sont, en fait, systématiquement bafoués. Prétextant de la lutte contre l’intégrisme islamiste, les autorités ont transgressé toutes les règles de droit et verrouillé tous les espaces de liberté.
Aux pratiques les plus visibles - telle la situation du Vice-président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme (LTDH), Khémaïs Ksila, condamné à trois ans de prison ferme pour ce qui relève indubitablement du "délit d’opinion" - font écho les mesures quotidiennes d’intimidation et de harcèlement visant toute personne exprimant des idées divergeantes de la politique officielle et en particulier les défenseurs des droits de l'Homme dont la mission de témoignage est si essentielle.
Un système de quadrillage et de harcèlement politique et policier implacable et pernicieux fondé sur le contrôle partisan, la délation et l’intimidation, a abouti à une intériorisation de la peur par la population. Afin de réduire au silence les défenseurs des droits de l'Homme, les autorités ont déployé, depuis quelques années, tout un arsenal répressif : procès inéquitables, sévices, pratique systématique de la torture, conditions délibérement inhumaines de détention de près de deux mille prisonniers politiques. Détentions arbitraires, interrogatoires répétés, harcèlement des proches y compris les enfants, brimades professionnelles, écoutes téléphoniques, confiscation de passeports, menaces, atteintes aux biens (voitures, bureaux, domiciles...), campagnes de presse haineuses sous forme d’articles diffamatoires, insultants et dégradants, appels au retrait de la nationalité, font partie des moyens utilisés pour faire taire toute voix discordante. A cela s’ajoute l’état de la presse, monocolore et muselée, ainsi que les multiples habillages juridiques et législatifs qui, comme la récente loi sur les passeports, aboutissent à donner un caractère "légal" aux actes les plus arbitraires et à dépouiller la citoyenneté de certains de ses attributs essentiels.
C’est dans ce contexte que la FIDH a décidé, en collaboration avec la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT), respectivement affiliée et partenaire de la FIDH, de faire le point sur l’état de l’application en Tunisie de la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Les cas rapportés dans ce rapport ont été traités conformément à la méthode classique de traitement et de vérification de l’information par la FIDH et ses partenaires.
Le présent rapport alternatif s’articule autour de trois axes : une première partie sur la réalité de la torture en Tunisie ; une deuxième partie intitulée "remarques à propos du rapport du gouvernement tunisien" et une troisième partie comportant quelques témoignages.
La première partie, qui se réfère sur tous les points évoqués à des exemples précis, dresse un tableau édifiant des violations caractérisées, graves et systématiques des dispositions de la Convention internationale qui ont pu être recensées. C’est ainsi que sont évoqués les cas de près de trente décès au cours d’interrogatoires dans des conditions jamais élucidées, les décès suspects en cours de détention, l’usage de la torture et ses conséquences physiques et psychiques, les lieux et les auteurs de ces pratiques dont l’impunité demeure effective en dépit des dénégations des autorités, les connivences coupables et la complicité de certains médecins affectés aux services pénitentiaires qui sont, faut-il le rappeler, rattachés au Ministère de l’Intérieur, les obstacles opposés aux tentatives de déposer plainte, un cas de disparition - Kamel Matmati dont on est sans nouvelle depuis son arrestation à Gabès en octobre 1991 -, les mauvaises conditions d’incarcération et quelques illustrations du harcèlement auquel sont confrontées certaines personnes.
La deuxième partie procède d’une approche plus analytique et reprend, de façon critique, les arguments peu convaincants développés dans le rapport du gouvernement concernant :
- les prétendues sanctions prises à l’encontre des auteurs de sévices et d’actes de torture ;
- l’information judiciaire concernant des pratiques que les autorités veulent réduire à "des dépassements individuels isolés";
- l’absence de toute initiative visant à la réadaptation des victimes,
- les problèmes posés par l’assistance judiciaire ;
- la non application des dispositions de la Convention internationale en droit interne ;
- les atteintes aux droits de la défense particulièrement dans les questions liées à l’usage de la torture ;
- la question de la garde à vue, de la détention au secret et de la détention préventive dont les règles sont systématiquement bafouées ;
- le caractère purement formel du contrôle médical ;
- la dégradation des conditions de détention
- et enfin les graves difficultés opposées à la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme qui est l’objet d’une politique délibérée d’isolement et de marginalisation.
Enfin les témoignages, réunis à titre illustratif dans la troisième partie, confirment que malgré les menaces et les pressions, des femmes et des hommes ont le courage et la volonté de témoigner. Au-delà des risques encourrus par leurs auteurs, ces témoignages démontrent l’espoir de ces victimes de voir leurs cas enfin entendus par la communauté internationale et, en particulier, par le Comité contre la torture.
Par leur rapport d’autosatisfaction sous forme de plaidoyer pro domo, les autorités tunisiennes essayent de convaincre que, "soucieux de protéger l’intégrité physique et morale de l’individu, notamment contre certains manquements au devoir de la charge publique, le droit positif tunisien réprime sévèrement l’exercice de telles pratiques ; le législateur ayant veillé à assurer la protection de l’individu contre les actes de torture aussi bien en droit pénal qu’en procédure pénale".
Les faits prouvent malheureusement qu’il n’en est rien dans la mesure où cette législation en trompe l’œil n’est nullement, en dépit de ses limites et de ses contradictions, appliquée. Au contraire, la FIDH considère que la torture est une pratique caractérisée, grave et systématique en Tunisie. Si au moins 500 cas, dont au moins 30 cas de décès sous la torture, ont pu être répertoriés dans le cadre du présent rapport, la FIDH considère cependant que le nombre total de personnes victimes de la torture entre 1990 et 1998 se chiffre vraissemblablement à plusieurs milliers.
Et les tortionnaires savent qu’ils jouissent, surtout depuis quelques années, d’une totale impunité. Cela ne peut être perçu que comme un encouragement à persévérer dans le recours à des pratiques violentes et dégradantes qui valent à leurs auteurs, non des sanctions et des poursuites, mais des primes, des promotions et, dans certains cas, les plus hautes décorations.
Dans ce contexte, le 18 novembre 1998, le Comité contre la torture des Nations Unies aura la tâche essentielle d’obtenir des autorités tunisiennes, au-delà des habituels engagements formels en vue d’une "amélioration progressive" toujours attendue, des actes concrets et immédiats. C’est à cette seule condition que la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants aura une chance de trouver en Tunisie un début de mise en oeuvre.

Première partie : La réalité de la torture en Tunisie
Introduction : la torture est pratiquée depuis de longues années
1. Les conséquences de la torture
2. Les décès pendant la garde à vue
3. Un cas de disparition
4. Les décès en prison
5. Les séquelles psychiques
6. L’impunité des auteurs de torture
7. La complicité des médecins
8. Des ressortissants étrangers victimes de la torture
9. Le droit de porter plainte est bafoué
10. Les exécutions extrajudiciaires
11. L’arsenal des mesures répressives
12. Les mauvaises conditions d’incarcération
13. Le harcèlement de certaines personnes

La présente partie décrit les faits au regard des articles 1, 2, 4, 5, 13, 15 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par la Tunisie.
Introduction :
La torture est pratiquée depuis de longues années en Tunisie ; depuis 1990 elle a été renforcée. Elle a d’abord visé les opposants présumés ou avérés, membres ou sympathisants de formations politiques non reconnues (En Nahdha, Parti Communiste des Ouvriers de Tunisie et son organisation de jeunesse, l'Union de la Jeunesse Communiste...) ou de formations dissoutes (Union Générale Tunisienne des Étudiants...) ou légales (Union Générale des Étudiants de Tunisie, Mouvement des Démocrates Socialistes...). L’objectif de la torture a donc été dans un premier temps l’extorsion d’aveux ou de renseignements.
La torture s'est étendue aux proches de ces militants et sympathisants, puis à de simples citoyens, à des médecins, des journalistes, des étudiants, des universitaires ou certains émigrés interpellés à leur retour. L’objectif de la torture était l’obtention d’informations relatives aux ressortissants tunisiens vivant à l’étranger, voire une simple mesure de rétorsion contre des personnes ayant accepté de rendre service à un compatriote. Selon les articles 51 bis et 307 bis du Code de procédure pénale : "peut être également poursuivi et jugé par les tribunaux tunisiens tout Tunisien qui commet, en dehors du territoire national, l’une des infractions mentionnées à l’article 52 bis du Code pénal, alors même que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation de l’Etat où elles ont été commises".
La torture est courante pour les personnes arrêtées dans le cadre d’affaires de droit commun, telle l’arrestation en décembre 1997 de dizaines de jeunes consommateurs (ou dealers) de drogue, qui, pour la plupart, n'ont pas été déférés devant les tribunaux.
La torture est pratiquée par des agents de l’Etat, fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, de la garde nationale, de la police, et par des individus agissant à leur instigation. Nous disposons de témoignages de torture dans les locaux du ministère de l’Intérieur de Tunis, de Bouchoucha et de Mornag, dans les postes de police (Soukra, Den Den, Bardo, Ariana, Jendouba, Sousse, Monastir, Kebili, Tunis-centre, Sfax, Beja, Kasserine, Sidi Thabet, Krib, Metlaoui, El Fahs, Metline, Sakiet Eddaïr...), de la sûreté (Jbiniana), de la garde nationale (Nabeul, El Aouina, El Kef), dans les centres de rétention militaire (Remada), et les prisons. Des endroits spéciaux existent dans les locaux de la DSE annexés au ministère de l’Intérieur à Tunis, au centre de Bouchoucha et de Mornag, à la garde nationale de l'Aouina. Certaines prisons possèdent des locaux réservés à la torture : il en existe deux à la prison du 9 avril à Tunis (au sein du pavillon E et sous le jardin central). Il existe des "villas" reconverties en centres de torture clandestins à Naassen (gouvernorat de Ben Arous). Quand le commissariat n'a pas de local spécial, la torture se pratique dans des bureaux, meublés d'une armoire contenant du matériel de torture. Ainsi, le premier étage du commissariat central de Sfax dispose de deux bureaux équipés de telles armoires : le bureau des "affaires politiques" et le bureau des "passeports".
Il y a aussi dans ces locaux des lieux réservés pour "les soins" après sévices et tortures, afin que les traces de torture s'estompent. Ainsi les prévenus torturés à Bouchoucha en 1992 ont été transférés à Mornag avant leur présentation au juge.
Le dispositif permanent de la torture se compose de tables, cordes, gourdins, tuyaux, câbles, barres de différents formats, eau, seaux, bouteilles, aiguilles, produits inflammables, équipements électriques, fer rouge.
La torture est pratiquée de jour comme de nuit (au commissariat de Sfax, ou dans le sous-sol du jardin de la prison du 9 avril). Les séances de torture les plus courantes consistent en des coups assénés à un rythme progressif sur l’ensemble du corps et sur la plante des pieds par des matraques et des gourdins de tailles différentes plus ou moins imbibés d’eau, ou de tuyaux de caoutchouc. Le supplicié est suspendu et attaché à une barre de fer horizontale, les mains attachées derrière les genoux. Il est battu jusqu’à ce qu’il perde conscience ; il est alors remis sur pieds, puis la séance recommence, parfois assortie de brûlures à l’eau de Javel ou à l’éther sur les parties sensibles du corps, d’électrocution, d’immersion de la tête dans de l’eau mélangée à de l'urine, des excréments ou des produits chimiques, d'aspersion à l'eau bouillante, d'aspersion d'alcool et de mise à feu du système pileux. Des instruments sont utilisés pour blesser : chignoles, bouteilles.
Les femmes sont étranglées avec des foulards et subissent les attouchements des policiers. Les sévices sexuels sont monnaie courante à l’encontre des hommes et des femmes, mis à nu (cas de Abdellatif El Mekki, ex-secrétaire général de l’UGTE, arrêté et torturé en 1991, sévices attestés par le médecin désigné par le tribunal). Ils peuvent aller jusqu’au viol, par l’introduction d’un bâton dans l’anus (Hedi Ben Allala Bejaoui, le 9 avril 1991 au poste de police de l’Ariana), de bouteilles (Hamid El Saïd, en octobre 1991, lors de sa détention au secret au Kef) ou de cigarettes incandescentes, voire de matières tranchantes (Fayçal Barakat, mort en 1991).
Les séances à caractère sexuel ont parfois été filmées. Jamila Saadani, arrêtée le 4 septembre 1991, a été déshabillée devant son frère, brutalisée, menacée de viol et filmée à la Direction de la Sûreté. Ces violences avaient pour objectif de lui extorquer des informations sur son mari, Walid Bennani. Elle a été libérée, sans charges.
Les violences à caractère sexuel subies par Widad Lagha en juin 1992 ont été filmées par caméra vidéo, afin de faire pression sur son époux Ali Larayedh, lui-même détenu. Les menaces de coups et de sévices sexuels sont proférées à l’encontre des détenus des deux sexes, ou d’une tierce personne. Ainsi, Samir Klouz, arrêté le 17 novembre 1990, a été menacé du viol de son épouse au commissariat de Bouchoucha. Zakia Chelfouh a été dénudée et violentée dans le cadre d’un interrogatoire sur son mari, Khémaïs Majri, en mars 1991. Des fillettes et des jeunes filles ont été déshabillées et menacées de viol, et ont subi des attouchements devant leur père, en état d’arrestation. Ainsi, Héla Nefzi, 9 ans en 1991, a été emmenée au centre de Bouchoucha et déshabillée devant son père, Mohammed Abed Nefzi.
Lors de leur détention en garde à vue, les détenus sont privés de sommeil ou de lumière naturelle, voire de nourriture. Ils peuvent être soumis à un bruit incessant, à l’audition d’autres séances de tortures, à des projections de lumière ou des piqûres d’aiguilles les privant de sommeil, à des injections (intra musculaires ou intra rectales) leur faisant perdre tout contrôle d’eux-mêmes, les rendant passagèrement amnésiques ou provoquant des logorrhées, enfin à tout une panoplie d'insultes et de chantages.
En 1998, la torture et les mauvais traitements sont toujours utilisés. Près de 150 jeunes, pour la plupart consommateurs occasionnels de drogue, ont été arrêtés, maltraités, pour certains torturés, et sont toujours détenus sans jugement. Entre février et avril 1998, 16 personnes (Kaïs Ouslati, Nourredine Ben Nticha, Taha Sassi, Ali Jellouli, Iman Derwiche, Jalel Bouraoui, Haykel Mannaï, Chedly Hammami, Habib Hosni, Ridha Ouslati, Lotfi Hammami, Rachid Trabelsi, Nejib Baccouchi, Borhane Gasmi, Henda Arwa) ont été arrêtées pour des raisons politiques et ont été toutes torturées.
La torture est souvent pratiquée tout au long de la période de garde à vue, dont le délai légal de 10 jours n’est généralement pas respecté. Voici une liste non exhaustive de personnes torturées durant une garde à vue outrepassant le délai légal :
- Habib Ayachi, arrêté le 10 octobre 1990, détenu au secret 28 jours.
- Abdellatif Tlili, arrêté le 21 novembre 1990, détenu au secret 42 jours par la Direction de la Sûreté à Tunis.
- Habib Lassoued, arrêté le 14 novembre 1990, gardé 25 jours en garde à vue.
- Monji Jouini, arrêté le 19 décembre 1990, détenu en garde à vue au commissariat de Bouchoucha 43 jours.
- Ali Larayedh, arrêté le 23 décembre 1990, détenu en garde à vue au secret 23 jours.
- Zied Daoulatli, arrêté le 23 décembre 1990, détenu au secret 23 jours.
- Salah Hedri, arreté le 23 avril 1991, détenu au secret 62 jours.
- Abdelhaliq Alaoui, arrêté en mars 1991, détenu six semaines au secret par la garde nationale du Kef.
- Sahnoun Jouhri, arrêté le 23 mars 1991 et détenu au secret 21 jours à la Direction de la Sûreté.
- Ajmi Elourimi, arrêté le 5 avril 1991 et détenu 38 jours au ministère de l’Intérieur.
- Aïssa Aïssa, détenu au secret en avril-mai-juin 1991 à la Direction de la Sûreté jusqu'à son hospitalisation à Habib Thameur.
- Samir Hannachi, arrêté en avril 1991 et détenu plusieurs semaines à la Direction de la Sûreté.
- Mohammed Salah Hamdi, arrêté le 14 avril 1991 et détenu un mois à la Direction de la Sûreté.
- Amor Arbaoui, arrêté le 2 mai 1991 et détenu jusqu'au 20 juin 1991.
- Fawzi Amdouni, arrêté le 9 mai 1991 et détenu au secret 40 jours.
- Mabrouk Qsir, arrêté le 3 mai 1991 et détenu au secret 54 jours à la Direction de la Sûreté.
- Mokhtar Moustaïssir, arrêté à El Aouina, transféré à la Direction de la Sûreté vers le 10 mai 1991 et transféré le 27 juin suivant en prison
- Nasser El Gatri, détenu du 10 mai au 27 juin 1991 à la Direction de la Sûreté.
- Imed Abdelli, arrêté le 23 novembre 1991 et gardé 50 jours en garde à vue. Libéré puis arrêté à nouveau le 23 mars 1995 et détenu 27 jours en garde à vue au ministère de l’Intérieur.
- Hassen Dkhil, arrêté en décembre 1991, détenu 21 jours au commissariat de Monastir, puis à celui de Sousse.
- Noureddine Mabrouk, arrêté en février 1992, détenu six semaines à Bouchoucha et à la Direction de la Sûreté.
- Fethi Ouerghi, arrêté en octobre 1991 et détenu plusieurs semaines, successivement au Kef et à Bouchoucha.
- Abderrazak Hamzaoui, arrêté en septembre 1992 et détenu plusieurs semaines au commissariat de Kasserine, puis à la direction de la Sûreté à Tunis et à Bouchoucha.
- Jallila Jallati, femme détenue 17 jours fin 1992.
- Mounir Jawadi, livré par les autorités algériennes en janvier 1993, détenu et torturé pendant deux mois à la Direction de la Sûreté.
- Thameur Jawa, détenu 18 jours, en janvier 1993, alors qu’il était hospitalisé.
- Samir Moussa, arrêté le 25 juillet 1993 et détenu 48 jours.
- Salaheddine Zikikout, arrêté le 8 août 1993 et détenu au secret 53 jours.
- Tawfiq Rajhi, arrêté le 26 juillet 1993 et détenu au secret 23 jours.
- Younes Kahlaoui, arrêté en janvier 1994 et détenu quatre semaines, successivement à Nabeul puis à la Direction de la Sûreté.
- Ali Mabouj, arrêté le 6 février 1994 à Ben Gardane et maintenu 18 jours au secret.
- Adel Selmi, arrêté le 10 juin 1994 et détenu en garde à vue 17 jours.
- Mohammed Ali Mabrouk, Naceur et Younes Jouini, arrêtés en novembre 1994 et maintenus en garde à vue prolongée.
- Jalal Maalej, arrêté le 4 décembre 1994 et détenu 30 jours à la Direction de la Sûreté.
- Tahir Zouinekh, arrêté le 27 décembre 1994 et détenu au secret 79 jours à Gabès.
- Soufiane Mourali, arrêté le 10 mars 1995 à Monastir et maintenu en garde à vue 40 jours.
- Imed Abdelli, arrêté le 23 mars 1995 et détenu 27 jours en garde à vue à la Direction de la Sûreté.
- Kheirreddine Jarrar, arrêté à Tunis le 30 mars 1995, détenu au secret 20 jours.
- Hafedh Ben Gharbia, arrêté le 21 avril 1995 et détenu 28 jours.
- Bachir Abid, Ali Jallouli et Abdelmoumen Belanes, arrêtés en novembre 1995, garde à vue prolongée à la Direction de la Sûreté.

L'administration pénitentiaire dépend du ministère de l'Intérieur et non de celui de la Justice. Les prisonniers sont torturés dans les prisons ou renvoyés dans les locaux de la Sûreté pour y subir de nouveaux interrogatoires. Voici une liste non exhaustive de prisonniers ayant subi la torture :
- Sayyed Ferjani, torturé durant sa détention en 1990.
- Mohsen Nouichi, torturé en juin 1991 à la prison du 9 avril.
- Najib Mourad, torturé en 1992 à la prison de Gafsa.
- Ismaïl Saïdi, torturé à la prison de Mahdia en 1993 (amputé d'un doigt).
- Mabrouk Qsir, torturé en juillet 1993 à la prison du 9 avril.
- Mohammed Hedi Sassi, Lotfi Touati, Ahmed Kaabi, et Sami Daoud ont subi des sévices sexuels en 1994.
- Hamma Hammami a été violenté en prison entre mars et juillet 1994.
- Farid Khaddouma, roué de coups à la prison de Borj Erroumi en 1995.
- Nejib Hosni, avocat, détenu, transféré trois jours à la Direction de la Sûreté en novembre 1995 afin de subir un nouvel "interrogatoire", battu, électrocuté, privé de nourriture et de sommeil, condamné en janvier 1996 à huit ans de prison.
- Tawfiq Bayouli, torturé à la prison de Monastir en 1994, et à la prison du 9 avril en 1996.
- Hadda Abdelli, détenue à la prison de la Mannouba, a été "interrogée" de telle façon dans les locaux du ministère de l'Intérieur en décembre 1995 que la direction de la prison a, dans un premier temps, refusé de la prendre en charge en raison de son état.
- Mohsen Nouichi, détenu au 9 avril, transféré à Mornag et torturé à la Direction de la Sûreté en novembre 1996.
- Abdelmoumen Belanes a été battu les 30 avril et 12 mai 1997 à la prison de Nadhor.
- Mohsen Nouichi et Saber Abdallah ont été torturés en mars 1997 à la prison de Borj Erroumi.
- Sadoq Chourou, torturé à la prison d'El Houarib début 1998.
- Abdellatif Ouslati a été violenté en octobre 1998 à la prison de Kasserine.
- Salah Khelifi, a été violenté à la prison de Kasserine en octobre 1998.
- Sassi Hdhili, a été violenté en octobre 1998 à la prison de Kasserine, il en a résulté une fracture.


1. Les conséquences de la torture
Les conséquences immédiates sont des blessures, des fractures, des perforations des tympans, des infections, des tuméfactions, des hématomes, l’asphyxie, des accès de démence, des états paranoïaques, des pertes de notions aussi élémentaires que le temps, des crises d’amnésie, des états de prostration, des pertes de connaissance et des fausses couches.
Les séquelles physiques durables (lésions, claudication, surdité, problèmes lombaires incurables suites à des positions à genoux très prolongées, difficultés à marcher) sont monnaie courante en raison de la tradition des coups assénés sur la plante des pieds. Il y a aussi des troubles du sommeil, des problèmes articulaires, les paralysies partielles des avant-bras ou des jambes, les amputations, les émasculations, les fausses couches, la stérilité. Hamida Bejaoui, interpellée en 1990, violentée et déshabillée à Bouchoucha, sera libérée sans être inculpée, les cervicales fracturées. Tayeb Yatim, médecin de l'institut Mohammed Qassab lui délivrera un certificat d'inaptitude à travailler de 45 jours (certificat n° 2468/90).

2. Les décès pendant la garde à vue
- Abdelaziz Mahouachi, arrêté vers le 21 avril 1991, décédé avant son arrivée à l’hôpital Habib Thameur, le 30 avril.
- Aberraouf Laaribi, décédé à la fin mai 1991 à la suite de son arrestation le 3 mai et de sa détention au ministère de l’Intérieur.
- Ameur Deggache, arrêté en juin 1991, décédé au ministère de l’Intérieur.
- Abdelwahed Abdelli, décédé en juin 1991 des blessures dues à un impact de balle non soigné pendant sa garde à vue à Sousse.
- Fethi Khiari, décédé pendant sa garde à vue en août 1991, à la suite d’une interpellation illégale.
- Fayçal Barakat, décédé des suites de la torture subie au poste de la Garde nationale de Nabeul, après son arrestation le 8 octobre 1991. La plainte déposée devant le Comité contre la torture a été jugée en définitive recevable.
- Rachid Chammakhi, arrêté à Mornag le 24 octobre 1991 et décédé sous la torture au poste de police de Nabeul.
- Mouldi Ben Amor, décédé entre décembre 1991 et janvier 1992 alors qu’il était en garde à vue prolongée à Tunis.
- Lotfi Klaa, ex-résident en France, décédé sous la torture en mars 1994, à la suite de son interpellation à Djerba.
- Mourad Jendoubi, en septembre 1994, alors qu’il était pousuivi par les agents de police.
- Amar El Beji (Vice-président de la section de Jebeniana du Mouvement des Démocrates Socialistes - MDS) a succombé pendant sa garde à vue, à la sûreté nationale, à la suite de son arrestation le 9 novembre 1994 près de Jebeniana dans des circonstances troublantes. Le Ministre de l’Intérieur a confirmé à l’Assemblée nationale l’invraisemblable hypothèse du suicide.
- Jaafar Kichaoui, décédé en état d'arrestation dans des circonstances obscures, le cadavre a été remis à la famille par la morgue de l'hôpital de Sfax.
- Noureddine Alaïmi, décédé le 10 septembre 1995 au poste de police de Metlaoui.

3. Un cas de disparition
A cette liste non-exhaustive de décès dans des conditions suspectes s’ajoute au moins un cas de disparition. Il s’agit de Kamel Matmati, dont on est sans nouvelles depuis son arrestation sur son lieu de travail en octobre 1991 à Gabes ; et un cas de "suicide présumé " : celui de Hedi Boutaieb à proximité du centre de rétention militaire de Remada en 1991.
4. Les décès en prison
- Ismaïl Khemira, à la prison du 9 avril à Tunis, vraisemblablement faute des soins nécessités par les lésions (paralysie) occasionnées par la torture, en février 1994.
- Azzedine Ben Aïcha, à la prison de Nadhor vers la mi-août 1994, il aurait été roué de coups.
- Sahnoun Jouhri (ex-membre du comité directeur de la LTDH), le 26 janvier 1995 à la prison du 9 avril à Tunis, suite à l’absence de soins requis par son état dégradé, en raison des tortures subies pendant sa garde à vue et une maladie grave. Il avait été transféré in extremis à l’hôpital.
- Abdelqader Mosbah, à la prison de Gabès en 1995 dans des circonstances jamais éclaircies, transféré in extremis à l’hôpital Hedi Chaker de Sfax.
- Farhat El Othmani, à la prison de Mornag en 1997, dans des circonstances non élucidées.
- Ali Bouzouir, décédé en mai 1997 à la prison du 9 avril, à la suite d’une grève de la faim.
- Mabrouk Zran, âgé de 65 ans, le 6 mai 1997, après avoir été amputé d’une jambe, à quelques jours de la fin de sa détention à la prison du 9 avril à Tunis, transporté in extremis à l’hôpital.
- Ridha Khemiri, le 25 juillet 1997, en détention préventive à la prison de Bulla Regia.
- Ahmed Ouafi, avocat impliqué dans une affaire de droit commun, asthmatique, est décédé le 4 septembre 1997 dans des conditions non éclairées.
5. Les séquelles psychiques
Les sévices sexuels provoquent de graves troubles psychiques et ont des répercutions désastreuses sur la santé mentale des femmes (dépression, état suicidaire) et de leurs enfants, eux-mêmes menacés et violentés.
- Jamila Saadani ne s’est jamais remise complètement de la dépression nerveuse qui a suivi les violences sexuelles dont elle a été l’objet en 1991.
- Najet Ben Ayed, de Sfax, torturée et incarcérée, est actuellement sous traitement psychiatrique, en raison des tortures et sévices infligés lors de sa détention en avril 1991. Elle n’a jamais été en mesure d’élever ses trois enfants.
- Mounir Lassoued, de Tozeur, et Najib Dhib, de Oum Laraïess, ont perdu la raison suite à la torture subie au commissariat de Gafsa en 1992.
La dépression nerveuse et l'amnésie frappent beaucoup de prisonniers dans les premiers temps de leur détention, ainsi Chadly Mahfoudh ou Amor Arbaoui, incapables de reconnaître leurs proches au début de leur incarcération.
6. L’impunité des auteurs de la torture
- Zoulikha Mahjoubi s’est vue remettre en octobre 1997 son passeport, signé par Khaled Saïd, l’officier de police qui l’avait torturée les 11 et 12 octobre 1996 (suspension en position contorsionnée) au commissariat de Jendouba, et qui lui a naturellement rappelé qu’ils s’étaient "déjà vus".
- Samira Ben Salah, épouse d'un exilé en Allemagne, terrorisée entre 1993 et 1997 par les services de police, soumise à des sévices sexuels, a été convoquée à deux reprises par l’officier de police Mohammed Ennaceur au ministère de l'Intérieur ; dénudée et soumise au chantage afin qu'elle divorce de son mari, elle a été ensuite harcelée par l’agent Tahar Dakhlia ainsi que ses filles. On lui a même enjoint de l'épouser.
- Suite à des interventions au niveau international, Mme Timoumi voit son divorce annulé et son passeport restitué avant la visite du Président Ben Ali en Allemagne en 1996.
- Le 7 novembre 1993, l’officier de police Mohammed Ennaceur, connu pour sa brutalité et son sadisme, a été décoré au Palais de Carthage de l’ordre du 7 novembre.
- Mouldi Gharbi a été torturé en février 1991 par "Béchir", raïs el mintaqa (chef de district), et "Abdelghani", policier rétrogradé à Jendouba, ayant auparavant exercé à l'Ariana au sein de la Firqa el Moukhtassa li chou'oun el islamiyyin (ou "brigade spéciale pour les affaires des islamistes").
Les tortionnaires du commissariat central de Sfax sont respectivement "Najib Bouhalila" du bureau des affaires politiques et "Najib Borgheroui", du bureau des passeports, qui agissent sous la responsabilité de "Ridha Gafsi", et avec l'aide d'un tortionnaire surnommé "Ammar" et de "Qelb el Assad".
- Zohra Hadiji a été victime d'attouchements sexuels et de menaces proférées sur elle et sa fille par le chef du poste de police de Sakiet Eddaïr, dit "Ayed", et ses subordonnés.
- Aïcha Dhaouadi, Sihem Gharbi, Monia Jalladi, Leïla Driss, Souad Kchouk en 1995, ainsi que Naïma Antar, détenues à la prison de Bizerte, ont subi des attouchements sexuels dans le bureau du directeur, Azzedine Nessaïbia, en 1995. Ces prisonnières ont été amenées par les gardiennes Raja Hammami, Maryam Machfer et Leïla Kammachi.
En 1993, la torture à la prison de Borj Erroumi est pratiquée sous la responsabilité du directeur Belhassen Kilani, et du responsable de la torture, Zoghlami ; à la prison du 9 avril, sous la responsabilité du chef de secteur, Nabil Aïdani, assisté au pavillon E de Belqacem Mahdhaoui. En juin 1991, au pavillon E de la prison du 9 avril, sévissait un tortionnaire nommé Tissaoui, assisté des auxiliaires "Karim" et "Saïd", sous la direction de Belhassen Kilani. A la prison de Messadine en 1995-96, sous la responsabilité de Nabil Aïdani, à la prison de Grombalia, sous la responsabilité de Hedi Zitouni, la torture étant le fait de Mohammed Zrelli.
7. La complicité des médecins
Les avocats des prévenus des procès de 1992 qui avaient demandé une expertise médicale avant l'audience, se sont vus consentir des "expertises" demandées par le juge d'instruction au médecin présumé de la prison civile de Tunis. Il est avéré que ce dernier, Haytham Kikanem, n’était en fait pas inscrit à l’Ordre des médecins.
Issam Ben Youssef, médecin qui avait délivré un certificat médical à un détenu torturé, s'est vu condamné par la suite à un an de prison.
Ridha Bouali, âgé de 25 ans en 1993, en état d’arrestation, est amené à l’hôpital Charles Nicolle le 14 juin 1993, puis transféré, le 16 juin à l'hopital des Forces de Sécurité Intérieure de La Marsa (dépendant du ministère de l'Intérieur). Diagnostiquant "une hystérie" le médecin traitant le soigne au gardénal. Son frère Rushdy tente de lui rendre visite et est à son tour interpellé. Ridha Bouali ne souffrait selon ses proches d’aucune pathologie avant son arrestation.
8. Des ressortissants étrangers victimes de la torture
Aux termes de la présente Convention, la nationalité des victimes est indifférente.
C’est ainsi que Mohammed Laalam, ressortissant suédois d’origine algérienne, est arrêté le 24 septembre 1996, relâché puis à nouveau arrêté et torturé. Les sévices ont laissé des lésions visibles et des problèmes auditifs qui ont été attestés médicalement après son retour en Suède, le 7 octobre 1996.
Abdelwahab Memmichi, sujet britannique d’origine tunisienne, a été arrêté et frappé lors de sa garde à vue au ministère de l’Intérieur en janvier 1997.
9. Le droit de porter plainte est bafoué
Article 13 : "Tout Etat partie assure à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous sa juridiction le droit de porter plainte devant les autorités compétentes dudit Etat qui procéderont immédiatement et impartialement à l'examen de sa cause. Des mesures seront prises pour assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite".
Les plaintes ne font jamais l'objet d'une enquête impartiale. Aucun élément convaincant n'est rendu public à ce sujet. Au contraire, c’est le silence des autorités qui prévaut et un grand nombre de personnes subissent des pressions visant à les empêcher de porter plainte.
C’est ainsi que l'épouse de Tijani Dridi, mort dans des circonstances obscures en août 1998 alors qu'il était soumis au contrôle administratif (Ariana), a dû signer un "engagement" à ne pas rechercher son mari, dont le cadavre lui sera ramené plus tard pour l'enterrement, sous haute surveillance policière.
La plainte du père d’un mineur battu par la police à l’Ariana (Raouf Mathlouthi) a entraîné sa condamnation à une amende pour diffamation de la police en 1991.
Les plaintes déposées par les prisonniers ne sont pas transmises et sont, de fait, encore plus rares.
Mabrouk Qsir, torturé en juillet 1993 à la prison du 9 avril, a déposé sa plainte par lettre à la direction de l'administration des prisons. Il a été convoqué par son tortionnaire, Nabil Aïdani. Il a tenté de faire enregistrer sa plainte auprès du bureau d'assistance sociale où on lui a répondu qu'on ne pouvait agir que pour les détenus de droit commun. Enfin, il a tenté en vain de faire enregistrer sa plainte lors de son transfert à la prison Borj Erroumi, le 25 octobre 1993, mais elle a été stoppée au niveau de l'administrateur, Belhassen Kilani.
Article 15 : "Tout Etat partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite".
Bien que les aveux extorqués sous la torture soient monnaie courante, les magistrats les acceptent comme preuves et statuent sur leur base:
- Mortadha Laabidi, arrêté en septembre 1990 à Gafsa, sera torturé, puis condamné en octobre.
- Moncef Triki, a été jugé et condamné par un magistrat informé de la torture subie lors de sa garde à vue en 1991.
- Touhami Ben Zeïd, arrêté en février 1992, a été condamné sur la base d’aveux signés sous la torture au-delà du délai légal de garde à vue, par le tribunal de grande instance de Grombalia, qui n’en a pas tenu compte.
- Les 279 personnes jugées par les tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab Saadoun avaient signé leurs aveux sous la torture, pour certaines au-delà de la durée légale de garde à vue. Lorsque Chadly Mahfoudh s’est plaint, ainsi que son avocat, devant le tribunal de Bab Saadoun d’avoir subi des tortures ayant entraîné des fractures de côtes et du tibia, le juge lui a rétorqué que cela était dû à une "chute".
- Mounir Bel Hedi Hakiri, arrêté en avril 1992, a eu ses ligaments brisés lors des séances de torture à Bouchoucha en avril 1992. Il n’a pu comparaître en raison de son état. Il a été condamné en 1996 à 12 années de prison.
- Abdellatif El Mekki, torturé lors de sa garde à vue, n'a pas pu obtenir du juge, pourtant parfaitement au courant, qu'il ordonne une enquête et a été condamné à 10 ans de prison.
- Hedi Akouri, arrêté et condamné à Gafsa sur la base d’aveux d’un autre détenu obtenus sous la torture.
10. Les exécutions extrajudicaires
L'article 16 de la Convention dispose que : "Tout Etat partie s'engage à interdire (...) d'autres actes constitutifs de peines ou traitements (...) inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu'elle est définie à l'article premier, lorsque de tels actes sont commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite (...).
Bien que non considérées comme des actes de tortures ou des mauvais traitements au sens strict, des exécutions sommaires, manifestement imputables à des agents responsables de l’application des lois, ont été relevées essentiellement au cours de l’année 1991.
La décennie s’est ouverte par une série d’exécutions sommaires sur la voie publique :
- Tayyeb Hammassi, abattu par la police le 7 septembre 1990 lors d’une manifestation à Tunis.
- Zohra Ettis, abattue le 1er janvier 1991 à Médenine.
- Salaheddine Babay, le 15 janvier 1991 à Sfax.
- Mabrouk Zemzemi, blessé le 8 février 1991, succombe le 12 à l'hôpital Habib Thameur.
- Ibrahim Abdeljawad, abattu à Souq El Ahad, en février 1991.
- Samir Talich, défenestré du 6 ème étage de la cité universitaire, le 1er mars 1991.
- Adnan Saïd, le 8 mai 1991, au campus de Tunis.
- Ahmed Omri, le 8 mai 1991, au campus de Tunis.
- Tarek Zitouni, dont le corps a été retrouvé après Mareth en direction de Jerba en février 1991.
Mais aussi des blessures par balles :
- Adel Amari, le 6 mai 1991, puis interpellé et écroué.
- Mehdi Hdhili, le 8 mai 1991, puis interpellé et torturé.
- Mourad Bedoui, le 8 mai 1991.
- Salem Mehiri, le 8 mai 1991, puis détenu.
- Boubaker Kallali, le 8 mai 1991, perd un oeil.
- Ibrahim Khiari, en 1991, paralysé partiellement.
- Rachid Asal, en 1991, perd un oeil.
Ces pratiques viennent en tout état de cause s’ajouter à la liste des abus imputables aux autorités.

11. L’arsenal des mesures et pratiques répressives
Le milieu de la décennie a vu le renforcement d’un système de traitements inhumains ou dégradants qui, accumulés les uns aux autres, ont réduit des milliers de citoyens au silence. Ce quadrillage minutieux a été rendu possible par le développement d'un appareil policier omniprésent.
Ces mesures sont appliquées par les forces de police, de gendarmerie, l’administration pénitentiaire avec la complicité de médecins, de journalistes, de magistrats, dans les commissariats, les postes de la garde nationale, les prisons, sur la voie publique et au domicile privé.
On relève notamment le recours aux méthodes et pratiques suivantes :
- Convocations, notifiées par écrit ou oralement, dans les locaux de la police et de la gendarmerie de personnes qui ne font l’objet d’aucune inculpation. Certaines y sont amenées de force et soumises à des interrogatoires concernant des tierces personnes, comme Hayya Khardani, arrêtée en septembre 1991, et retenue quatre jours au commissariat de police du Bardo parce que son frère était recherché.
- Vols ou interceptions répétés du courrier. Certains destinataires se voient fréquemment invités à le retirer, ouvert, au poste de police. Son contenu (lettre, mandat, colis) est alors l'objet d'un interrogatoire sur l'expéditeur.
- Appels téléphoniques anonymes insultants ou menaçants.
- Mise sous surveillance policière ostentatoire des domiciles de prisonniers, de condamnés par contumace ou d’exilés.
- Perquisitions diurnes et nocturnes sans mandats, souvent avec vol, chez des personnes n’ayant fait l’objet d’aucune inculpation. Ces personnes sont soumises à des interrogatoires, des violences, des propos insultants à l’égard de tiers pouvant être des parents, des époux. Plusieurs femmes ont été victimes de descentes de polices et d’interrogatoires concernant leurs maris absents alors que ces derniers étaient déjà à l’étranger et que les autorités tunisiennes en étaient informées. Ces descentes sont réalisées alors que sont présentes des personnes mineures, âgées ou handicapées.
- Le contrôle administratif est légalisé depuis le 22 novembre 1993 : l’article 52 bis, rajouté au Code pénal, soumet automatiquement des personnes libérés à un contrôle. "Est qualifiée de terroriste, toute infraction en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de porter atteinte aux personnes et aux biens, par l’intimidation ou la terreur. Sont traités de la même manière, les actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux quels que soient les moyens utilisés. L’application de la surveillance administrative pour cinq ans est obligatoire (...) La peine ne peut être réduite à moins de sa moitié".
- Non respect du rythme d’émargement et des lieux de détention prévus par le juge.
- Par voie orale, il est signifié une série d’interdits relatifs aux vêtements : le port de vêtements neufs par des personnes âgées ou des enfants devient un sujet de surveillance de la part d’indicateurs, et d’interrogatoires de police.
- Entraves à la liberté de circulation par des mesures, notifiées oralement, d'assignation à résidence, d'interdiction de rendre des visites ou de quitter un certain périmètre sans en informer le commissariat.
- Généralisation des filatures ostentatoires, par des voitures, souvent accompagnées de motards équipés de portables, qui suivent les mouvements des personnes dans tous leurs déplacements de jour comme de nuit et stationnent devant leur logement et celui de toute personne à qui elles rendraient visite. Ces filatures, qui peuvent durer des semaines, ont ainsi visé des avocats, des militants connus pour leur engagement dans la défense des droits de l'Homme.
- Confiscation des papiers d’identité et des passeports des membres des familles d'opposants. Le non-renouvellement du passeport, bien que difficilement quantifiable, est également une pratique courante et discrétionnaire dans les consulats tunisiens à l’étranger.
- Licenciements abusifs, assignations à résidence, contrôles policiers illégaux de comptes bancaires, pressions sur les éventuels employeurs empêchent toute vie professionnelle. L’assistance matérielle requise dans ce contexte est à son tour assimilée à un délit et passible de prison ce qui prive des milliers de personnes de ressources.
- L'incitation au divorce sous la terreur est devenue une pratique courante, surtout sur des femmes dont les époux sont en exil ou en prison, à titre d'exemple :
- Fathia Mezigh, de Tataouine, entre 1993 et 1997.
- Jallila Jallati, à plusieurs reprises.
- Madame Neffati, épouse d’Ali Neffati, en 1993
- Naïma Aouinia, originaire de Sidi Bouzid, en 1994.
- Samira Ben Salah, de Tunis, entre 1993 et 1996.
- Aïcha Ben Mansour, de Sfax, en 1994.
- Zohra Hadiji, de Sfax, en 1993.
- Kheiria Chahbani, de Médenine, en 1996.
- Dorra Ayadi, de Jendouba, en novembre 1997.
Ces atteintes à la vie privée sont aussi le fait de médias spécialisés diffusant des propos infamants à l’égard d’opposants ou de militants des droits de l'Homme connus. Il s’agit notamment de Ach Chourouq, El Hadath ou Le Temps, dont les propos sont relayés par des bulletins anonymes diffusés en France - La Vérité et Les Masques (bilingues arabe-français) et, depuis 1998, Akhbar El Mouflissin (Les nouvelles des faillis), spécialisés dans les insultes à connotation sexuelle et dans des appels à la haine fondés sur la calomnie et la diffamation.
Ce dispositif s’accompagne de la diffusion de cassettes pornographiques infamantes et diffamantes, dont le montage met en scène des opposants au régime (Ali Larayedh, Abdelfattah Mourou, Mohammed Mzali en 1991-92).
Des ressortissants tunisiens résidant à l’étranger sont l’objet de violences physiques ou de menaces :
- Mondher Sfar, Tunisien résident en France, a été violemment agressé et blessé à proximité de son domicile le 22 avril 1996, suite à l'envoi d'une lettre au Pape Jean-Paul II, le 10 avril 1996.
- Ahmed Mannaï, réfugié tunisien en France, auteur d’un livre-témoignage sur la torture en Tunisie, "Supplice tunisien, le jardin secret du général Ben Ali", violemment agressé les 29 février 1996 et 14 mars 1997, diffamé ainsi que son épouse par la publication anonyme Les masques datée du même 14 mars.
- Kamel Jendoubi, porte-parole du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie (France), diffamé ainsi que son épouse, traité d’"intégriste masqué ", menacé de mort dans le n° 4 du 21 mars 1997 du bulletin anonyme Les masques .
- Al Anouar, Al hadeth (journaux publiés en Tunisie), Les masques, les nouvelles des faillis... ont attaqué, injurié et menacé à 12 reprises Khémaïs Chammari, militant des droits de l’Homme de longue date et actuellement contraint à l’exil.

12. Des mauvaises conditions d’incarcération
Déjà très précaires sur le plan sanitaire (surpopulation carcérale, absence de lits et d'hygiène élémentaire), les conditions d’incarcération ont encore été aggravées par la dispersion des prisonniers et les transferts incessants loin du domicile familial qui restreignent le droit à la visite.
Par ailleurs, le droit à bénéficier de l’assistance d’un avocat, de recevoir du courrier, des vêtements, de la nourriture, déjà affectés par l’éloignement du domicile, est compromis par la séparation entre les jours de visite et ceux du dépôt du "panier" (colis) et l’acharnement des autorités pénitentiaires à l’égard de certaines familles, privées de papiers d'identité ou de la mention "épouse de", ce qui les interdit de visite...
En 1998, des dizaines de prisonniers (le rythme incessant des transferts rend vaine toute velléité d'indiquer leur lieu de détention) atteints de pathologies lourdes étaient privés de soins.
A titre d'exemple, on peut citer les cas de :
Meftah Sidaoui, Habib Ellouz (perpétuité), Bouraoui Makhlouf (perpétuité), Ridha El Albouchi, Abdallah Zouari, Thameur Jawwa, Ali Zeraoui, Sahbi Atig (perpétuité), Daniel Zarrouq, Mohammed Sghir, Sadoq Chourou (perpétuité), Fethi Ouerghi, Mohammed Mssadi, Tawfiq Bayouli, Ahmed Labiadh, Mustapha Arfaoui, Karim Mathlouthi, Habib Laabidi, Mouldi Boukari, Kamal Aqrabi (perpétuité), Choukri Amar, Mohammed Trabelsi (perpétuité), Toumi Mansouri, Ajmi Lourimi (perpétuité), Najib Mourad, Maatoug El Ir, Abdessalam Khammari, Lotfi Belhadj, Latifa Drissi, Choukri Nawari, Lotfi Snoussi (perpétuité), Jemaa El Barhoumi, Moncef Abddaïm, Gsouma Gsouma, Mabrouk Chniter, Najib Louati (perpétuité), Nourredine El Ayet, Jalel Mabrouk, Habib Mahjoub, Younes Kahlaoui, Henda Arwa.
On peut même parler d'acharnement de l'administration pénitentiaire :
- Ali Larayedh, asthme et ulcère, détenu à la prison du 9 avril, sa fenêtre a été bouchée, le régime d'isolation est total, même lors des visites.
- Abdellatif El Mekki, ulcère, faiblesse généralisée, sa femme a dû intervenir à plusieurs reprises pour qu’il soit admis en 1998 à l’hôpital de Sfax dans un état très dégradé, loin de sa famille.
- Khémaïs Ksila, diabète, problèmes cardiaques, insuffisance rénale.

13. Le harcèlement de certaines personnes
- Khadija Ben Ounis, de Qalaa Sghira. On peut s’inquiéter des conséquences graves du harcèlement de la garde nationale sur cette femme âgée de 65 ans, dont le fils a été jugé par contumace en 1992 et reconnu réfugié en France. Celle-ci était à l’époque en possession de toutes ses facultés physiques et mentales. Or depuis 1995, suite à des perquisitions à son domicile avec vols de documents privés, interrogatoires, intimidations, privation de passeport, surveillance de ses moindres allées et venues et communications (courrier ou téléphone) avec ses proches par des indicateurs, celle-ci n’a jamais pu reprendre contact avec son fils.
- Mohammed Hedi Jouini a été condamné à 4 ans de prison en 1991. En 1993, il a à nouveau été condamné à un an et trois mois de prison sur les mêmes chefs. Il a interjeté appel et a obtenu la relaxe. Le ministère public a déposé un recours et M. Jouini a été condamné à trois ans et six mois de prison puis a été réincarcéré le 10 juin 1996. Il s'est pourvu en cassation. Il a mené une grève de la faim pendant plus d'un mois pour être libéré. A cette époque, ses frères, Naoui, Mohammed Ali Mabrouk, Mohammed Naceur et Younes Jouini étaient incarcérés et sans cesse transférés dans des prisons différentes rendant la visite de leur mère, une veuve démunie, impossible.
- Ridha Bouali, hospitalisé à la suite de sa première arrrestation en 1993, soumis au contrôle administratif quotidien depuis depuis sa libération en 1994, violenté régulièrement au commissariat de Ouardia 1 ou à son domicile, contraint au divorce, ses proches soumis à des interrogatoires, empêché de travailler, a tenté de se suicider le 3 avril 1998, après une descente de police à son domicile.
- Sadoq Bouali, son père, porteur de la carte d’handicapé physique prioritaire n ° 11 58 54 5638, a assisté, impuissant, à ce déferlement de violences policières pendant des années. Sadoq Chourou a été emprisonné après avoir été atrocement torturé en 1991 et condamné à perpétuité (1992). Emna Najjar, son épouse, mère de quatre enfants, a vu la police s'installer chez elle et a dû fuir. Isolée de sa famille sur laquelle les autorités ont fait pression, sa voiture confisquée, elle a les plus grandes difficultés à rendre visite à son mari. Sa fille, Hajer, très traumatisée, a été privée de carte d'identité et ne peut rendre visite à son père. Sa belle-soeur Zohra Chourou, a vu son passeport confisqué.
- Latifa Drissi, d'El Fahs, soeur d'un exilé, mère de deux enfants, a été condamnée en juillet 1995 pour "collecte de fonds non autorisée". Elle est la cousine d'un exilé dont la femme et les cinq enfants étaient harcelés par la police, privés de passeport et de ressources entre 1992 et 1997, et dont deux frères Mourad et Moncef Ben El Hadj sont emprisonnés. Elle est actuellement emprisonnée et souffre de problèmes cardiaques.
- Radhia Aouididi, lycéenne, soeur de Noureddine Aouididi, exilé, a été privée de papiers d'identité et empêchée de passer le baccalauréat. Privée de passeport, comme plusieurs membres de sa famille, elle a tenté de quitter le pays munie d'un faux passeport. Arrêtée, elle a fait l’objet d’un article non signé en janvier 1997 dans l’hebdomadaire Réalités qui évoquait la perte supposée de sa virginité. Elle est actuellement emprisonnée à la prison de la Beja. Le 29 octobre 1998, sa mère Omssaad Aouididi, et son frère Mohammed Aouididi, le père et le frère de son fiancé, Abdelmomen et Mohammed Aouididi, ont à leur tour été arrêtés. Il s'agit de personnes ne faisant l'objet d'aucune inculpation.
- Radhia Nasraoui, avocate, mère de deux filles. Sa voiture a été volée en 1993, son appartement incendié en 1995, son cabinet cambriolé en 1994 et 1997. Elle a été empêchée d'embarquer le 10 juin 1997. Son cabinet a été dévalisé le 12 février 1998. Elle a fait l'objet d'une filature ostentatoire, a été déférée devant le juge d'instruction le 30 mars 1998 pour 11 chefs d'inculpation dont celui de "liens avec une organisation terroriste", mais laissée en liberté... Elle a été intimidée le 24 mai par un agent de la DSE, qui a récidivé le 6 juin sur sa fille, Ousseïma. Sa fille aînée de quinze ans fait l'objet d'une surveillance pointilleuse de la police
- Zohra Hadiji, de Sfax, épouse de Mohammed Jamil Alila, exilé en Autriche, mère de trois fillettes, a été arrêtée en avril 1993, menacée de viol et contrainte de demander le divorce, soumise à une assignation quotidienne, privée de passeport. Son passeport lui a été rendu au bout de cinq années, mais elle a été empêchée d'embarquer en juillet 1998 et son passeport lui a été confisqué à nouveau.

Le suicide lié au harcelement :
Mohammed Ali Fadday, soumis au contrôle administratif huit fois par jour.
Les décès, conséquences du harcèlement :
- Noureddine Boubahri, en France depuis 1969, frère d'un opposant condamné en 1992, a vu son passeport confisqué à son arrivée en 1994 en Tunisie. Traité pour une pathologie lourde en France, il n'a pu continuer son traitement et a succombé le 4 janvier 1995 en Tunisie.
- Ghazala Hannachi, mère d'un opposant recherché, décédée le 5 septembre 1997 suite à une descente de police à son domicile.
- Abderrazak Barbria, sous contrôle administratif, décédé à son domicile le 12 novembre 1997 dans des conditions jamais élucidéees, après avoir été détenu de jour au commissariat.
- Tijani Dridi, sous contrôle administratif, décédé entre le 3 et le 10 août 1998. Son épouse a été dissuadée de le rechercher, n'a pu connaître les circonstances de son décès, attribué par les autorités à un "accident", ni récupérer la mobylette prétendument "accidentée".
Les enterrements se déroulent alors sous haute surveillance policière, afin d'intimider les familles, de les dissuader de porter plainte ou de révéler ce qu'elles savent du décès.
Aref Aloui, décédé en Libye dans des circonstances inconnues fin novembre 1997, sera enterré sous haute surveillance policière le 14 décembre 1997 à Ghomrassen.

Deuxième partie : Remarques à propos du rapport du gouvernement tunisien

1. La pratique de la torture demeure une réalité dans la Tunisie d’aujourd’hui
2. La question des punitions et de l’impunité de l’auteur de la torture
3. L’information judiciaire vis-à-vis de la torture et l’absence de réadaptation des vicitmes
4. L’assistance judiciaire
5. Le refus systématique d’appliquer la Convention en droit interne
6. La régression des droits de la défense en général, particulièrement dans les affaires liées à l’application de la convention
7. La garde à vue, la détention préventive et la détention au secret
8. Un droit de visite médicale formel
9. Les conditions de détention
10. A propos de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme


Le rapport présenté par le gouvernement se propose de décrire les mesures adoptées en Tunisie pour l’application des articles 2 à 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Nous avons constaté que l’exposé qui y est fait de la situation dans le pays se concentre sur les aspects législatifs, minimisant l’éclairage essentiel qu’une étude de la pratique pourrait apporter à une évaluation plus réaliste aussi bien des textes et de leurs éventuelles lacunes, que de leur degré d’influence sur la pratique, à la mesure de l’omniprésence et de l’impunité de certains services de sécurité.
Ce rapport appelle les remarques et les mises au point suivantes.
1. La pratique de la torture demeure une réalité dans la Tunisie d’aujourd’hui
Considérant la définition de la torture telle que communément admise par la Convention s’y rapportant ou même telle que semble l’adopter le rapport officiel tunisien, on ne peut malheureusement qu’en constater un usage qui sans être massif n’en n’est pas moins caractérisé, grave et systématique.
Même si l'on ne peut faire état que de très peu de cas de plaintes de victimes de droit commun recensées par les ONG pour des abus extrêmement graves, nous estimons que les évaluations du nombre de plaintes sont bien en-dessous de la réalité des abus. Cette situation s’explique par une prise de conscience insuffisante, des informations limitées et une confusion sur le rôle des organismes réellement non gouvernementaux.
Ainsi, brimades, abus verbaux et violences de gravités variables semblent presque acceptés comme comportements ordinaires des agents représentant l’autorité policière.
Pourtant, les exemples que nous citerons révèlent une pratique franchissant incontestablement les limites de l’admissible.
Les affaires politiques représentent la plupart des dossiers suffisamment détaillés pour indiquer, par leur nombre et leur concordance, l’ampleur de l’usage de la torture dont les plaignants ont été victimes.
Celle-ci a été recensée sous les formes les plus diverses, à toutes les étapes et sur tous les lieux d’intervention policière.
1-1. Sur la voie publique et les lieux privés
Plusieurs plaignants ont décrit à la LTDH des perquisitions inopinées et illégales à diverses heures de la nuit, jetant l’effroi et la panique parmi les femmes, enfants en bas âge et personnes âgées.
Ces descentes ont essentiellement concerné d’anciens détenus soumis à résidence de façon abusive à l’occasion de célébrations particulières ou sans motif aucun, des familles de condamnés en fuite ou à l’étranger (ex. : famille Abdelmajid Sahraoui en 1997).
Certains sont battus et humiliés devant leurs enfants dans un contexte de propos orduriers et de démonstration d’arrogance d’agents affirmant avec force qu’ils sont assurés de leur impunité.
Ces pratiques ont causé :
- la mort de Mourad Jendoubi en septembre 1994 à Bizerte, décédé au cours de son arrestation dans le cadre d’une affaire de droit commun.
- la mort de Ghezala Hanachi, décédée après avoir été bousculée par des agents procédant à une perquisition car ils recherchaient un membre de sa famille (5 septembre 1997 à Jendouba à l’âge de 70 ans).
- l’arrestation dans des conditions scandaleuses de Ahmed BenSalah Zamel Tanoubi torturé en pleine place publique à la cité Hélal (Tunis) et laissé pour mort, gisant dans son sang dans le véhicule de police (mars 1996) - [voir dans la troisième partie le témoignage de sa mère].
1-2. Au niveau des postes de police
C’est là que commencent généralement les provocations, humiliations et toutes sortes de traitements dégradants induits sans doute par le sentiment d’impunité des agents malgré leur "sensibilisation" et les consignes théoriques. Ces pratiques concernent aussi bien les détenus de droit commun que les détenus politiques.
Ainsi, pour plus d’humiliation, Monsieur Mohamed Moadda, Président âgé d’un parti d’opposition, convoqué au poste de police de l’Ariana (Tunis) puis au ministère de l’Intérieur - y est emmené à sa descente de lit en pyjama - sans aucune raison plausible (1998).
Toutefois, ces traitements peuvent en arriver à des situations de torture réelle avec les conséquences les plus graves.
En témoignent les décès enregistrés dans des circonstances non encore élucidées dans les postes de police :
- Ammar Béji, décédé en 1994 à Li Aoudh (voir rapport LTDH 1995).
- Ben Aïcha Ezzedine, décédée en août 1994 (voir rapport LTDH 1995).
- Lofti Klaï, décédé en mars 1994 à Médenine (voir rapport LTDH 1995).
1-3. Au niveau des prisons
L’administration a recours à des sanctions corporelles et morales pour des raisons diverses. La LTDH reste à ce jour sans information quant aux suites données aux demandes d’enquêtes et plaintes des victimes dont celles de :
- Hamma Hammami, prison de Nadhor.
- Abdelmoumen Bel Anes, prison de Nadhor.
- Faycal Erromani, prison de Borj Erroumi.
- Imen Dérouiche, prison de femmes de la Manouba.
Certains détenus, considérés comme des leaders ou comme dangereux, subissent un isolement continu en dehors de toute mesure disciplinaire ; d’autres vivent dans des conditions indignes de la personne. Nous y reviendrons au chapitre consacré aux conditions de détention.
1.4. Dans les locaux du ministère de l’Intérieur
C’est dans ces locaux, équipés à cette fin, qu’officient des professionnels, et dans lesquels les victimes ont déclaré avoir souffert de l’utilisation des méthodes les plus élaborées ou barbares de torture, pendant les périodes les plus longues. C'est là que sont instruites les enquêtes préliminaires de toutes les affaires politiques et ce sont donc ces services qui sont unanimement cités dans toutes les plaintes parvenant à la Ligue. Aussi bien des détenus que des membres de familles de personnes recherchées y ont été maltraités ou humiliés.
Des femmes de condamnés en fuite ont relaté des injures, des menaces, bastonnades, sévices divers, attouchements répétés et pressions morales des plus déstabilisantes.
Lors de son procès, Néjib El Hosni, avocat et militant des droits de l'Homme, a affirmé avoir été extrait de prison, puis transféré au secret dans les locaux du ministère de l’Intérieur pour y être torturé pendant plusieurs jours au sujet d’une seconde affaire alors en instruction. Son épuisement physique était encore visible lors des premières audiences qui ont eu lieu après des dizaines de jours.
Tous les inculpés arrêtés dans l’affaire des étudiants de l’UGET (1998), présentés comme militants du parti ouvrier communiste tunisien non reconnu, ont séjourné dans les locaux du ministère de l’Intérieur pour subir à des degrés divers privation de sommeil, bastonnades ou électrochocs... Leurs tortionnaires y ont apparemment bénéficié de la complicité de médecins prescrivant des traitements d’urgence ou symptomatiques ou conseillant les sévices sans séquelles apparentes tels que les coups violents portés sur le crâne avec les mains, injection de produits irritants dans les zones sensibles... (voir le témoignage des avocats des prévenus).
2. La question de la punition et de l’impunité de l’auteur de la torture
Il est désolant de constater qu’outre les dénégations de faits prouvés, le rapport du gouvernement tunisien se hasarde à interpréter faussement un texte de loi afin de justifier son refus de divulguer les affaires dans lesquelles ont été condamnés des auteurs d’actes de torture, pour ne pas révéler l’identité de ces auteurs supposés et les peines qui ont été prononcées à leur encontre.
C’est que l’article 5 du Code pénal ne prévoit nullement, comme il a été affirmé, "l’interdiction de la publication des extraits des jugements ou de dévoiler l’identité de l’inculpé (en l’occurrence l’auteur de la torture) sauf si la juridiction compétente le décide" (voir paragraphe 73 du rapport du gouvernement).
Cet article prévoit l’échelle des peines, énumère les peines principales et les peines accessoires que le tribunal peut prononcer en matière pénale. Parmi les peines accessoires, l’article 5-b-8 prévoit la peine de la publication par extraits de certains jugements, aux frais du condamné, s’agissant de certains délits par exemple portant atteinte à l’honneur.
En vertu du droit pénal interne, et s’agissant des inculpés ou des condamnés ayant atteint la majorité légale au moment des faits (18 ans), le procès doit être public, ainsi que les débats et les noms des condamnés. Il en est de même des charges retenues contre eux et des peines prononcées à leur encontre (voir par exemple n’importe quelle compilation de journaux locaux où sont publiés quotidiennement les noms des condamnés, leur métier, les charges retenues contre eux, les condamnations, les témoignages, les juridictions saisies avec les noms des juges, le nom des victimes et leurs témoignages).
Par ailleurs, la LTDH n’a jamais été informée, même à titre confidentiel, des résultats d’une quelconque enquête alors même qu'elle s’en considère en partie à l’origine ou en a fait la demande expresse dans le cadre du suivi de ces affaires.
Cette attitude renforce donc la conviction du refus de coopération efficace des services concernés par la lutte contre ce fléau.
3. L’information judiciaire vis à vis de la torture et l’absence de réadaptation des victimes (§ 185 du rapport des autorités tunisiennes)
Contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport du gouvernement tunisien, la torture physique et morale est infligée directement aux personnes se trouvant aux prises avec le système politico-judiciaire et parfois à leurs conjoints, les enfants en supportant les répercussions les plus graves.
L’Etat qui refuse de reconnaître officiellement l’usage de la torture par ses services de sécurité, ne reconnaîtra pas l’urgence de mettre en place des programmes de réadaptation, de peur que ceux-ci puissent être considérés comme un aveu implicite de l’existence de la torture.
Le rapport des autorités confirme cette situation quand on y prétend qu’il ne s’agit que de "dépassements individuels isolés" qui ne nécessitent pas un programme de réadaptation.
Du fait des pressions administratives, légales et judiciaires, la prise en charge sociale par le secteur associatif de ce type de traumatismes n’a pu se développer. Il semble aujourd’hui utopique que des thérapeutes et militants associatifs puissent obtenir un visa d’association oeuvrant à la réhabilitation des victimes de la torture, celles-ci étant considérées comme une population inexistante.
Les victimes ont des difficultés à se soumettre à un traitement post-traumatique à leur charge et à celui de leur famille. Le plus souvent, elles se font soigner par le médecin de famille pour des pathologies isolées de leur contexte et sans faire état des sévices subis.
La peur et le sentiment de honte qui les envahissent pendant et après l’épreuve, la peur d’être soumis de nouveau à la même épreuve par les mêmes forces de sécurité si elles parlent du calvaire qu’elles ont subi, contribuent pour leur part à rendre difficile l’émergence d’initiatives sociales de prise en charge et de réadaptation.
Si la victime se trouve en prison, et que les douleurs persistent, le médecin attaché à la prison (et souvent complice de la torture) lui administre généralement des traitements symptomatiques. On refuse presque systématiquement de transférer la victime dans un hôpital extérieur à la prison de peur de voir ses proches ou son avocat obtenir une copie des documents médicaux prouvant la torture a posteriori.
Tout ceci est en contradiction avec l’article 14-2 du décret du 14 novembre 1988 relatif au règlement des prisons qui énonce que le prisonnier a le droit aux soins et aux médicaments dans un hôpital à l’extérieur de la prison, sur l’indication du médecin de la prison, en cas d’impossibilité de soin au dispensaire de la prison.
Les victimes de la torture qui revendiquent publiquement leur droit à une réadaptation physique sont plutôt rares.
On peut citer par exemple le cas de Monsieur Lotfi Hammami détenu à la prison civile de Tunis et qui souffre depuis la fin du mois de février 1998 de dommages corporels graves aux testicules et au pénis.
Ce prisonnier incarcéré sur ordre du doyen des juges d’instruction auprès du tribunal de grande instance de Tunis - affaire en cours n° 78301/1 - déclare avoir été torturé pour la troisième fois dans les locaux même du ministère de l’Intérieur pendant une semaine entière (du 21 au 28 février 1998) ; les deux précédentes séances de torture ont eu lieu dans les mêmes locaux du 13 mars au 3 avril 1992 pour la première, et du 11 au 16 août 1996 pour la deuxième. Il déclare avoir subi, de nuit comme de jour, à la suite de la dernière arrestation, plusieurs séances de torture, dont l’épreuve du fil noué au-dessus des testicules et tiré par un agent, alors que le sujet complètement nu est suspendu par les pieds au plafond. Ses avocats ont demandé, lors de sa première comparution devant ce juge d’instruction, un examen médical conformément à l’article 13 bis du Code de procédure pénale et un traitement spécialisé immédiat. Ils ont renouvelé la demande le 25 avril 1998, puis ont déposé une troisième demande au début du mois d’octobre. A ce jour, toutes ces demandes sont restées sans suite. Lofti Hammami n’a pas encore été hospitalisé bien qu’il souffre toujours d’inflammation des testicules et du sexe et qu’il déclare que les traitements prescrits par le médecin responsable du dispensaire de la prison ont fait la preuve de leur inefficacité.
Concernant les possibilités de réparation (paragraphes 186 et 187 du rapport des autorités), le Code de procédure pénale prévoit plusieurs possibilités légales. Mais toutes sont subordonnées à l’ouverture effective d’une enquête judiciaire ordonnée par le Procureur de la République et à la condamnation de l’auteur de l’infraction.
Selon l’article 26 du Code de procédure pénale, le Procureur de la République est chargé de la constatation de toutes les infractions, de la réception des dénonciations qui lui sont faites par les fonctionnaires publics ou les particuliers, ainsi que des plaintes des parties lésées.
Selon la loi, le Procureur doit être représenté à l’audience du tribunal correctionnel par son substitut, il se faire communiquer régulièrement toutes les pièces de la procédure instruite par le juge d’instruction. Si un prévenu se plaint, au cours de l’interrogatoire par le juge d’instruction, d’avoir signé des aveux sous la torture, le Procureur doit aussitôt en être informé. Ainsi, le Procureur ne peut normalement pas ignorer les faits de torture. Cependant, il n’ouvre jamais d’information judiciaire de son propre chef.
Bien plus, de nombreuses plaintes ont été déposées par des victimes de torture depuis plusieurs années, particulièrement à la suite de la promulgation en 1988 de l’article 13 bis du Code de procédure pénale instituant la possibilité de la visite médicale. Mais toutes ont été classées sans suite.
Au début, les avocats ont cru que les procureurs allaient se conformer aux dispositions du Code et ordonner des enquêtes. Mais, ils ont vite déchanté face à leur persistance à ne pas instruire ce genre de plaintes. De ce fait, on a constaté progressivement une diminution du dépôt de plaintes, les avocats considérant que la procédure est vouée à l’échec.
On peut citer plusieurs plaintes classées sans suite, dont :
- n° 38566 du 23 mars 1994 : tribunal de Sousse, Hamma El Hammami contre X, agents de police.
- n° 29781 du 3 juillet 1995 : tribunal de Bizerte Hamma El Hammami contre Hichem El Ouni et Sami Kallel, directeur de prison de Nadhar et son subordonné.
- n° 43400 du 25 juillet 1997 : tribunal de Bizerte Adelmoumen Belanes contre Ali Chouchène et contre X, le directeur de la prison de Nadhar et plusieurs de ses agents.
- n° 49356 du 24 juillet 1998 : tribunal de l’Ariana Imen Dérouiche contre Nadia Ben Salah, Om Saad et X.
- n° 42348 et 43400 : tribunal de Bizerte, plainte contre X, directeur de la prison de Borj Erroumi et agents.
4. L’assistance judiciaire
La Commission spécialisée mentionnée au paragraphe 188 du rapport du gouvernement existe effectivement auprès de chaque tribunal de grande instance. Elle se consacre à l’assistance judiciaire aux personnes indigentes. Ladite commission s’occupe de l’assistance judiciaire à ces personnes dans des affaires judiciaires de toute nature (articles 36 à 38 de la loi n° 89-87 du 7 septembre 1998 portant organisation de la profession d’avocat).
Contrairement à ce qui est affirmé au paragraphe 188 du rapport du gouvernement, cette commission n’accorde pas de priorité aux victimes de la torture. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons entendu parler d’aucun cas de victime indigente ayant eu recours à cette commission pour intenter une action en justice contre un tortionnaire présumé et encore moins d’y bénéficier d’une quelconque priorité.
Si les frais de procédure sont couverts par l’administration financière, il est à noter que, contrairement à ce qui est affirmé au paragraphe 188, les honoraires d’avocat ne sont pas pris en charge par cette administration ou par l’Etat. De par la loi, les avocats tunisiens doivent s’occuper gratuitement des affaires qui leur sont confiées par la dite commission, sauf si l’indigence de la personne assistée a cessé.
5. Le refus systématique d’appliquer les dispositions de la Convention dans le droit interne
Bien qu’elles priment normalement sur les dispositions du droit interne (par l’effet de l’article 32 de la Constitution), les dispositions de la Convention sont systématiquement ignorées par les tribunaux. Et ce, malgré les demandes incessantes de la défense.
Les juridictions pénales considèrent, quand il s’agit d’appliquer les dispositions de la dite Convention, qu’elles ont pour mission d’appliquer "la loi". Elles entendent par ce terme générique, la loi interne votée par le Parlement et ses textes d’application. Ces juridictions refusent obstinément de donner à la Convention la place qui lui revient dans la hiérarchie des normes légales.
Il faut rappeler que depuis une dizaine d’années, et s’agissant des instruments internationaux des droits humains dont la Convention sur la torture, c’est cette théorie qui est consacrée par la jurisprudence pénale de la Cour de cassation. Par contre, en matière civile et commerciale, la Cour applique généralement les textes internationaux.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe aucun jugement qui considère que la dite Convention est applicable en droit interne. Il n’existe pas à fortiori de décisions ayant appliqué l’article 15 de la Convention.
(Cet article dispose que "toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne [peut] être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite")
Et pour cause...
Ces dernières années, beaucoup d’avocats ont demandé, dans les affaires où le prévenu s’est plaint de tortures, l’application de l’article 15 de la Convention. Les juridictions pénales ont systématiquement ignoré ces demandes ; certaines vont même jusqu’à répondre à l’avocat en audience publique qu’il n’a pas le droit de soulever ce genre d’arguments extérieurs au dossier et aux textes d’incrimination, sous peine de s’exposer aux sanctions de la loi 89-87 (l’avocat se trouve personellement exposé car le tribunal peut considérer son insistance comme une offense).
C’est pourquoi, de nombreux avocats ont abandonné cet argument dans leurs plaidoiries, ce d’autant que l’article 46 dernier alinéa de la loi du 7 septembre 1989 portant organisation de la profession d’avocat dispose que si l’infraction commise par l’avocat porte atteinte aux membres du tribunal, il peut être jugé séance tenante par un tribunal autrement composé.
Ainsi, des décisions judiciaires de culpabilité sont prises uniquement sur la base de procès verbaux de police établis en contradiction avec l’article 15.
En revanche, les déclarations du prévenu en présence de son avocat, devant le juge d’instruction ou devant le tribunal et alléguant d’actes de torture, sont systématiquement considérées comme un moyen de se soustraire à la sanction. Aucune investigation supplémentaire ou plus complète prévue par le Code n’est entreprise (refus d’entendre les témoins requis par la défense, ou de d’ordonner les confrontations nécessaires, les reconstitutions sur les lieux de l’infraction..., toutes procédures obligatoires ou prévues par le Code de procédure), notamment dans les affaires à caractère politique, quand l’accusé se plaint d’avoir été torturé.
6. La régression des droits de la défense en général et particulièrement dans les affaires liées à l’application de la Convention
Des pratiques judiciaires illégales ont vu le jour ces dernières années. Elles mettent fondamentalement en cause les droits de la défense.
Parmi les plus graves, il faut citer la difficulté de plus en plus grande pour accéder au dossier ou du moins pour prendre connaissance de toutes les pièces du dossier. Les tracasseries sont nombreuses : limitation de la communication des pièces au seul interrogatoire du prévenu, refus de la communication des pièces de la procédure, refus de permettre à l’avocat de prendre connaissance des pièces confisquées...
Il faut aussi citer les tracasseries administratives multiples pour empêcher l’avocat de rendre visite à son client à la maison d’arrêt : délais d’attente trop longs, refus illégal d’amener le détenu sous prétexte qu’il a été sanctionné, non confidentialité de la visite en raison de la présence d’agents qui veulent entendre les propos échangés entre l’avocat et le détenu, éloignement du détenu dans une région éloignée de celle du tribunal saisi, alors que le permis de visite n’est valable que pendant les heures de travail administratif de la journée où il a été délivré à l’avocat.
Il faut aussi citer l’interdiction du droit de visite de l’avocat après que l’affaire ait été jugée en appel et ce, pendant toute la période qui précède la décision de la Cour de cassation. Ce droit qui existait il y a quelques années a été supprimé, le Procureur général auprès de la Cour de cassation refusant désormais de livrer des permis de visite.
Beaucoup d’avocats refusent d’accepter les affaires à caractère politique. D’autres s’interrogent sérieusement sur leur rôle, considérant qu’ils sont utilisés comme alibis dans des procédures pseudo-contradictoires. Enfin, une minorité se mobilise encore pour le respect des droits de la défense. Elle prend des risques pour défendre le droit de tout prévenu, quelles que soient les charges retenues contre lui, à un procès équitable. Ces avocats deviennent le plus souvent l’objet des harcèlements directs ou indirects.
Maître Radhia Nasraoui a vu son étude dévastée lors d’une effraction de nuit. Elle a été soumise, ainsi que d’autres avocats militants, à des filatures flagrantes, prolongées et agressives. Tel a également été le cas pour les avocats Najet Yacoubi, Hedi Ben Mehrez, Bochra Bel Haj Hamida, Mokhtar Trifi et Fadhel Ghedamsi, par ailleurs membre du Comité directeur de la LTDH.
D’autres s’interrogent sur les répercussions de leurs activités militantes avec des persistantes difficultés de relations professionnelles normales avec une clientèle publique.
7. La garde à vue, la détention préventive et la détention au secret (exemple en 3e partie)
La loi 87-70 du 26 novembre 1987, portant amendement de certains articles du Code de procédure pénale, fixe la durée de garde à vue à quatre jours pouvant être prolongée de quatre, puis deux autres jours par l’autorité judiciaire représentée par le Procureur de la République.
L’expérience nous a amené à constater que pour nombre de procès, la garde à vue est presque systématiquement prolongée au-delà son délai maximum (nonobstant la durée véritable de garde à vue qui peut être abusive moyennant manipulation des dates de consignation des arrestations que nous évoquerons).
En principe, la garde à vue ne se justifie que par les nécessités de l’enquête. Or, les procès verbaux présentés lors de certains procès sont régulièrement falsifiés et datés non pas du jour de l’arrestation, mais des premières 36 ou 48 heures de garde à vue. Dès lors, il n’est pas déraisonnable de penser que ces procédés ne visent qu’à laisser s’atténuer les traces des sévices subis durant les périodes non déclarées de garde à vue.
Au vu des procès verbaux, les avocats ont toujours remarqué que la durée de garde à vue est comptée, non pas à partir du début de la détention, mais des derniers jours seulement, de telle sorte que si la personne est gardée à vue plus de dix jours, les premiers jours seront décomptés de la durée totale de la garde à vue. Cette période constitue une détention au secret.
La détention au secret existe toujours. Elle se pratique de la manière suivante : l’arrestation est généralement effectuée par des agents en civil qui ne déclinent pas leur identité. Ils investissent à plusieurs le domicile de la personne visée, à toute heure du jour ou de la nuit, ou son lieu de travail ou un lieu public, et l’emmènent de force sans lui présenter de convocation, ni les charges retenues contre elle.
Les premiers jours, le lieu de la détention reste secret pour la famille et les proches qui doivent se déplacer d’un poste à un autre pour chercher en vain des renseignements.
Pendant cette période, même les avocats ne savent pas où se trouve leur client. Le Procureur de la République lui-même déclare aux avocats et aux familles que tant qu’il n’a pas de dossier, il n’a aucune information à donner. Pourtant, d’après les termes de l’article 13 bis du Code de procédure pénale, il doit aussitôt être informé de l’arrestation, et toute enquête préliminaire doit être conduite sous son autorité directe.
Pour donner une couverture légale aux dépassements importants de la durée maximum de la garde à vue dans certaines affaires, des pratiques illégales de détournement de procédure ont vu le jour.
Ainsi, une commission rogatoire de prolongation de garde à vue est délivrée par le juge d’instruction saisi de l’affaire à l’enquêteur à l’issue de la garde à vue mentionnée dans le procès verbal de police, et alors que ledit juge n’a pas entendu le prévenu en première comparution (la garde à vue initiale est normalement ordonnée par le Procureur de la République). Commence alors une deuxième période de garde à vue sous l’autorité du juge d’instruction et sans que l’avocat ne soit informé. Ainsi, deux gardes à vue maximales se suivent.
Les avocats n’ont cessé de réclamer aux juges saisis des dossiers d’enquêter sur la date réelle de l’arrestation (convoquer et entendre les témoins de l’arrestation au quartier où habite la personne concernée ou à son lieu de travail... et instruire en ce sens). Ils ont toujours demandé à ces mêmes magistrats de vérifier les dates inscrites au registre spécial de la garde à vue, comme mentionné au dernier paragraphe de l’article 13 bis du Code de procédure pénale (ce registre est tenu par les officiers de police judiciaire). Mais les juges ont toujours ignoré ces demandes.
Certains d’entre eux vont jusqu’à affirmer aux avocats faisant ce genre de demandes que l’inculpé, sachant qu’il était recherché, était parti de chez lui pour se cacher, jusqu’au jour de son arrestation, c’est-à- dire, à la date mentionnée dans le procès verbal de police...
Par ailleurs, la détention préventive est expressément présentée, à l’article 84 du Code de procédure pénale, comme mesure exceptionnelle. En fait, elle a été systématiquement requise lors des procès politiques alors qu’il n’existait pas de problèmes de sécurité, de nouvelles infractions ou de difficultés d’exécution de peines (procès Khémaïs Chammari, Mohammed Moadda, Khémaïs Ksila...).
Les paragraphes 25 à 34 du rapport gouvernemental traitent également des garanties en matière de détention préventive. La période maximale ne doit pas excéder un mois pour les délits et 14 mois pour les crimes depuis 1993. Cependant, les avocats de la Ligue nous signalent que ces délais sont en fait des délais requis par l’instruction. Aussi, une instruction clôturée et transmise à la chambre d’accusation peut justifier une période maximale nouvelle en cas de demande d’instruction complémentaire de la part de celle-ci.
8. Un droit de visite médical formel
Bien que l’article 13 bis du Code de procédure pénale donne à la personne gardée à vue ou à l’un de ses proches la possibilité de demander un examen médical au cours ou après la garde à vue, cet article de loi est resté quasiment lettre morte.
Ce texte n’offre légalement qu’une possibilité de demander l’examen médical, laissée à la discrétion soit de l’enquêteur de police qui dresse le procès verbal (celui-là même qui est souvent l’auteur des tortures), soit à la discrétion du Procureur de la République ou du juge saisi du dossier (juge d’instruction ou juridiction de jugement). Ensuite, ce texte ne prévoit pas de sanction légale si l’autorité saisie de la demande d’examen médical l’ignore ou n’y donne pas suite (par exemple la sanction de la nullité de la procédure ou du moins de la nullité des procès verbaux dressés par les enquêteurs de police). Enfin, il est de notoriété publique que les autorités judiciaires n’accèdent pas à cette demande avec la célérité requise lorsqu’elle leur est présentée, dans quasiment tous les cas où le détenu s’est plaint de torture.
En revanche, dans quelques affaires qui ont reçu une grande publicité, on a accédé à la demande d’examen médical que plusieurs semaines après la disparition des traces de torture sur le corps du sujet, manifestement pour rendre vaines les tentatives de preuve des allégations de torture.
Exemple : Le cas de Hamma Hammami, affaire n°38566 auprès du tribunal de grande instance de Sousse. L’examen médical a été réalisé 17 jours après les faits, par un médecin légiste qui a refusé, malgré l’insistance du patient qui se plaignait de maux de tête, de sensations de vertige et de douleurs post-traumatiques du nez, de faire un examen plus approfondi (M. H. Hammami, arrêté le 14 février 1994 a déclaré avoir été torturé pendant 48 heures sans interruption, au siège du ministère de l’Intérieur, par une dizaine de fonctionnaires à la fois, ligoté sur une chaise, et recevant entre autre des coups sur et derrière la tête par la paume des mains).
Ses avocats, qui l’ont visité le 16 février 1994 à la prison civile de Sousse, ont constaté de visu des hématomes sur le nez, autour des yeux, sur le visage et le cuir chevelu. Le médecin requis par le tribunal s’est limité à des observations superficielles affirmant au patient qu’il avait été requis par le tribunal pour "rechercher et décrire les traces traumatiques sur le corps et la tête". Malgré l’insistance des avocats à l’audience du 16 mars 1994 pour qu’un nouvel examen soit effectué par un médecin spécialiste, le tribunal a continué de refuser, alors même que le dossier du tribunal contenait une photo du prévenu prise immédiatement après les séances de torture où étaient clairement visibles les hématomes (cette photo était jointe au dossier pour les besoins d’une vérification d’identité dans le cadre d’une expertise concernant un des chefs d’inculpation).
Dans quelques affaires pénales intentées contre les personnalités connues, qui n’ont pas subi de sévices corporels au cours de la garde à vue, l’enquêteur préliminaire procède à un examen médical de son propre chef ou après une demande déposée auprès du Procureur de la République par la défense.
Exemple : l’affaire Moncef Marzouki, n° 68924/2 déférée devant le juge d’instruction près du tribunal de Tunis le 29 mars 1994 dans laquelle un certificat de bonne santé a été joint au dossier.
9. Les conditions de détention
Si les aspects légaux et réglementaires organisant la détention semblent des plus rassurants, la réalité est malheureusement toute autre puisque les droits essentiels tels qu’énumérés au paragraphe 102 du rapport du gouvernement tunisien sont totalement ignorés, nous citerons :
9-1. Le droit à la santé, à l’hygiène et aux médicaments
De quelle propreté peut-on parler avec la surpopulation carcérale qui prévaut dans la majorité des prisons ?
Le droit à un lit individuel, expressément prévu par les règlements avancés par les autorités, est refusé à un nombre très important de détenus, particulièrement de droit commun.
Le "tas" ("kods"), expression commune dans les lieux de détention, est une réalité connue de tous ceux qui ont eu à y séjourner. Elle désigne tous les détenus qui, arrivés tardivement ou dominés, ne peuvent bénéficier d’un lit et se contentent de dormir sur les couvertures dans les allées des cellules. Au niveau même du "tas", la promiscuité est désastreuse et oblige aux pires situations.
Khémaïs Ksila, Vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme et internationalement reconnu comme prisonnier d’opinion, n’a pu éviter ce sort et a dû recourrir à diverses actions de protestations pour enfin bénéficier d’un lit. Khémaïs Chammari, ancien député, de santé fragile, a subi les mêmes conditions de détention pendant une période assez longue. Que dire du détenu anonyme ?
Pire encore, la promiscuité et l’enfermement dans des quartiers à risques (déviations sexuelles, porteurs de maladies transmissibles...) sont parfois utilisés comme ignobles moyens disciplinaires pour des détenus politiques (cas Mohammed Hédi Sassi rapporté à la Ligue et ayant provoqué une enquête officielle, cas Sami Daoud).
L'état des toilettes et les conditions d’accès à l’eau dans les cellules sont désastreux.
La saleté, ou plutôt l’insalubrité, est également sciemment utilisée dans les locaux disciplinaires (humidité, insectes, et parasites...).
De nos jours encore, les prisonniers sont obligés de se faire raser en série, avec la même lame. Le traitement préférentiel est de se faire raser le premier, les autres vivants dans l’angoisse de la contamination au VIH.
S'agissant de la prise en charge médicale, les décès de nombreux détenus dans des circonstances préoccupantes sont plus que significatifs.
La Ligue Tunisienne des droits de l'Homme a, à chaque fois, dénoncé ces graves atteintes aux droits des détenus et demandé des informations détaillées sur les circonstances des décès. Elle a appelé en outre à une prise en compte adéquate de cette question, dans les meilleurs délais (communiqué du 15 septembre 1997).
Nous citerons les décès de Sohnoun Jouhri, Mabrouk Zran (juin 1997), Ahmed El Ouafi (septembre 1997), Ridha Khémiri (à la suite d’une grève de la faim de plus de 40 jours le 25 juillet 1997).
Les détenus atteints de troubles psychiatriques souffrent également d’une prise en charge inadaptée et insuffisante. Les témoignages concordants rapportés à la Ligue décrivent des malades quasiment assommés de différentes drogues et vivant une déchéance totale.
9-2. Droits de visite
Pratiquement tous les détenus d’opinion ont subi des mesures disciplinaires ou des pratiques condamnables allant de l’emprisonnement dans un lieu très éloigné de la famille - de fait une peine complémentaire extrajudiciaire d’isolement des proches - aux transferts non communiqués aux familles et parfois aux avocats, jusqu’à l’interdictionpure et simple de visite.
9-3. Mesures disciplinaires
Les règlements évoqués prévoient l’interdiction de visite ou de nourriture apportée par la famille, l’isolement temporaire et l’interdiction de recevoir du courrier ou des journaux, et de correspondre. Cette dernière mesure punitive semble être quasiment systématique pour les détenus d’opinion.
Le paragraphe 103 du rapport gouvernemental fait faussement mention de l’interdiction de châtiments corporels. Des témoignages concordants et nombreux ont décrit l’atrocité de cette pratique ou parfois de nombreux agents se sont acharnés sur des détenus isolés (Mohammed Hédi Sassi, Abdelmoumen Bel Anès, Mohamed Jebali dont le bras a été fracturé).
Dernier témoignage en date (été 1998) : Imen Dérouiche est extraite de sa cellule et passée à tabac par trois gardiennes dans un couloir de la prison pour avoir dénoncé les pratiques graves d’un agent pénitencier. Un avocat la visitant plusieurs jours après l’agression a pu constater de visu les traces encore visibles des sévices subis. Imen Dérouiche a eu le courage de dénoncer ses agresseurs nommant Nadia Ben Salah, Salha Fadhti et Om Saad. Elle a entamé par la suite une grève de la faim pour protester contre des mesures disciplinaires supplémentaires et réclamer les soins que son état de santé nécessitait.
Les cas qui nous sont signalés ne peuvent malheureusement pas refléter l’ampleur de la pratique : seuls les détenus politiques la dénoncent, ceux de droit commun l’acceptant comme une loi de la prison.
La LTDH a, à plusieurs reprises, demandé l’autorisation de visiter les prisons du pays. Le principe en a été accepté lors d’une courte période d’accalmie dans les relations entre la LTDH et les
autorités. Cette possibilité n’a malheureusement pas encore pu se concrétiser à ce jour.
10. A propos de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l'Homme - LTDH
Dans sa deuxième partie, et en complément d’information demandé par le Comité à l’issue de l’examen initial, le rapport du gouvernement précise (§ 152) "que la LTDH se propose d’accomplir diverses tâches en vue de la promotion et de la protection des droits de l'Homme. Elle organise des séminaires, exprime sa position sur l’état des droits et des libertés, intervient auprès des autorités concernées afin de trouver des solutions aux plaintes...".
En réalité, et pour chacune de ces tâches, la situation est toute autre. En dehors de quelques courtes et rares périodes, les relations entre la LTDH et les autorités n’ont fait que se détériorer, empêchant ainsi le développement de relations de coopération et de confiance mutuelle.
10-1. En matière d’accès aux moyens d’information, le "black out" total est imposé aux écrits de la Ligue depuis longtemps, particulièrement de la part des publications sous contrôle officiel.
Ainsi, le rapport de l’observatoire des élections de 1994 et le rapport sur l’état des droits de l'Homme (1995) n’ont été que brièvement évoqués par les journaux de la centrale syndicale ou ceux des partis autorisés, de même que pour près d’une cinquantaine de communiqués dont il n’a pu être fait écho qu’exceptionnellement pour la même période (1994 et 1995).
Ce blocus médiatique concerne également les activités de la Ligue en général, aussi bien aux niveaux central que régional, chaque fois que le dialogue avec les autorités est interrompu, la laissant ainsi dépourvue de tout moyen de communiquer ses positions et de faire connaître ses activités.
10-2. Concernant la promotion de la culture des droits de l'Homme, il est nécessaire de préciser que ces dernières années ont vu l’interdiction de plusieurs manifestations sous couvert de diverses justifications.
- Interdiction d’une réception en décembre 1995 sous prétexte d’avaries dans les salles de deux hôtels différents.
- Interdiction d’un séminaire de formation des cadres ayant pour thème "la détention préventive dans la législation tunisienne et les textes internationaux" organisé à Sousse en novembre 1996.
- Interdiction de la célébration de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en décembre 1996.
- Interdiction d’une manifestation organisée par la section de Sfax - été 1996 - pour défaut d’autorisation du gouverneur.
- Interdiction d’un séminaire commun avec "El Taller" et le CREDIF (Centre de Recherche et de Documentation sur la Femme) - octobre 1996
10-3. Depuis près de trois ans, la LDTH est ignorée lors de toute manifestation officielle, y compris celle célébrant la journée des associations ou la Déclaration universelle des droits de l'Homme.
10-4. La Ligue fait également l’objet de graves pressions et tracasseries policières dont :
- la surveillance constante des locaux de la LDTH par les services de diverses polices particulièrement lors des réunions ;
- l’interception systématique des communications téléphoniques de la Ligue et de ses dirigeants ;
- l’interception des correspondances ;
- des actes de vandalisme sur les voitures de Messieurs K. Ksila et A. Allagui (novembre 1995) ;
- surveillance des résidences, tracasseries et filatures flagrantes des dirigeants de la Ligue et des militants de ses sections ;
- perquisitions inopinées, pour des motifs fallacieux, de domiciles des militants.
10-5. Pressions sur les membres du Comité directeur
- Garde à vue de M. Salah Zeghidi à son retour d’une mission de représentation de la LTDH à l’étranger (octobre 1996).
- Convocation du même Salah Zeghidi devant le Procureur de la République au retour d’une seconde mission à l’étranger.
- Convocation du Président de la LTDH devant le juge d’instruction dans le cadre d’une affaire concernant le directeur exécutif de l’Institut Arabe des Droits de l'Homme, audience au cours de laquelle il a été confronté au supposé contenu d’une communication téléphonique avec le Président de la FIDH (1996), communication enregistrée par les services de police et utilisée comme moyen de pression.
- Licenciement abusif de M. Khémaïs Ksila, Vice-président de la Ligue, de son travail dans une société nationale (février 1996). Confiscation de son passeport (août 1996). Arrestation (septembre 1997) à la suite d’une grève de la faim et de la publication d’un communiqué expliquant son geste par la persécution dont il estime être l’objet et demandant le rétablissement de ses droits. Condamnation à trois ans de prison et à une amende de 1200 Dinars (février 1998).
- Convocation du Président de la LTDH devant le Procureur de la République pour s’expliquer au sujet d’un communiqué du conseil national (février 1998).
10-6. Entraves au financement de certains projets de la Ligue, notamment par des pressions politiques au niveau des services de la Commission Européenne, pour empêcher la conclusion de projets dont l’acceptation du financement était acquise dans le cadre du projet Euro Med de renforcement de la société civile, des droits de l'Homme et de la démocratie dans les pays du Sud de la Méditerranée.
10-7. Confiscations injustifiées de passeports de plusieurs militants. Le 27 octobre, cette pratique abusive a été légalisée par l’adoption d’une loi qui érige le juge en censeur des libertés.

Par ailleurs, les multiples tentatives de la LTDH pour renouer le contact avec les autorités (par les correspondances avec les services du ministère de l’Intérieur pour demander des compléments d’informations, pour attirer l’attention sur des abus ou pour le rétablissement de droits) restent malheureusement à ce jour, lettres mortes ; les services concernés ne jugeant apparemment pas opportun d’y apporter une quelconque réponse.

Troisième partie : Témoignages sur la torture adressés à la LTDH
1. Extraits d’un rapport des avocats concernant l’affaire 78301/1
2. Témoignage sur le comportement d’impunité des agents de police
3. Le harcèlement des familles
4. La torture dans les prisons
5. Le cas de Maître Néjib Hosni
6. Les cas de Abdelmoumen Belanes, Bechir Abid et Ali Jellouli


1. Extraits dun rapport des avocats tunisiens concernant l’affaire 78301/1

1-1. A propos de la garde à vue
Les inculpés ont déclaré que les dates d’arrestation consignées dans les procès verbaux ne correspondent pas à la réalité et apportent les précisions suivantes :
- Noureddine Hamed Ben Nticha a déclaré avoir été arrêté le 20 février 1998 à 19 heures, le procès verbal indique le 21 février 1998.
- Ali Ben Mohamed A. Jellouli arrêté le 21 février 1998, déclaré le 22 février 1998.
- Taha Ben Mohamed Sassi, arrêté le 21 février 1998, déclaré le 22 février 1998.
- Jalel Ben Salah Ben Frej Bouraoui, arrêté le 21 février 1998, déclaré le 23 février 1998.
- Haïkel Mannaï, arrêté le 22 février 1998, déclaré le 23 février 1998.
- Ridha Oueslati, arrêté le 21 février 1998, déclaré le 24 février 1998.
- Chédly Hammami, arrêté le 23 février 1998, déclaré le 24 février 1998.
- Habib Hosni, arrêté le 21 février 1998, déclaré le 24 février 1998.
- Lotfi Hammami, arrêté le 21 février 1998, déclaré le 24 février 1998.
- Rachid Trabelsi, arrêté le 23 février 1998, déclaré le 6 mars 1998 après 12 jours.
- Nejib Baccouchi, arrêté le 23 février 1998, déclaré le 6 mars 1998 après 12 jours.
- Imen Dérouiche, arrêtée le 4 mars 1998, déclarée le 6 mars 1998 après 3 jours.
- Borhane Gasmi, arrêté le 25 février 1998, déclaré le 9 mars 1998 après 12 jours.
- Henda Aroua, arrêtée le 4 mars 1998, déclarée le 6 mars 1998 après 3 jours.
1-2. A propos des conditions d’interrogatoires
Tous les inculpés ont déclaré avoir été soumis à la torture morale et physique à différents degrés et sévèrement menacés.
Les moyens suivants ont été répertoriés :
- Privation de sommeil allant jusqu’à huit jours par versement d’eau froide, position debout obligatoire, piqûres et matraquage sur toutes les parties du corps.
- "Falka" (matraquage de la plante des pieds).
- Balance : pratique qui consiste à lier les mains en avant ou derrière le dos et à suspendre la victime dénudée pour la battre sur différentes parties jusqu’à évanouissement
- Traction forcée du pénis et des testicules à l’aide d’une corde attachée en amont sur la victime suspendue.
- Le bain : suspendue par les pieds et mains liées derrière le dos, la victime est plongée de façon répétée dans un bain d’eau souillée ou javellisée jusqu’à évanouissement.
- La rôtissoire : la victime suspendue à la façon du rôti sur un bâton entre deux tables est battue longuement avec alternance de versement d’eau froide.
- La "darbouka" : coups portés sur l’arrière de la tête avec la paume des mains, ne laissant aucune trace extérieure mais causant des douleurs intenses.
- électrochocs au moyen d’aiguilles plantées dans les endroits les plus sensibles.
- ligotage à des radiateurs de chauffage jusqu’à brûlures de détenus dénudés sur des surfaces importantes du dos
- arrachage de cheveux et poils
Les inculpés ont certifié avoir reçu, après chaque séance de torture, la visite d’un prétendu médecin ou d’infirmier pour examen et prescription de comprimés et baumes contre l’inflammation et les oedèmes. Il leur était également imposé des pansements fortement compressifs à l’aide de morceaux de couvertures.
La défense a, par ailleurs, constaté que les dates de procès verbaux ne coïncidaient pas avec les dates d’arrestation de la plupart des inculpés, et que par conséquent la période de garde à vue était prolongée au-délà des délais légaux.
1-3. Les remarques de la défense
Les inculpés déclarent souffrir des conséquences des tortures subies lors de leur interrogatoire.
- Le détenu Lotfi Hammami souffre d’oedèmes des organes génitaux, de douleurs sévères aux testicules ainsi que de leur déplacement apparent. Une demande d’examen médical spécialisé à été faite à deux reprises lors de l’instruction.
- Le détenu Néjib Baccouchi a déclaré avoir été transféré à deux reprises à l’hôpital des forces de sécurité intérieure à la suite de vomissements de sang durant son interrogatoire et a été empêché d’y séjourner malgré l’insistance du médecin traitant.
- Le détenu Ali Jellouli déclare souffrir de céphalées intenses et de fractures du nez.
Tous les inculpés ont affirmé avoir signé des procès verbaux sous l’effet de la torture, morale et physique, sans avoir été informés de leur contenu. Ils ne les ont découverts que devant le juge d’instruction.
Ils nient avoir eu connaissance des pièces déclarées saisies sur eux par les enquêteurs de police.
Après étude des dossiers, et témoignage des inculpés, la défense constate :
- le non respect de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants ;
- le non respect de l’article 13 du Code de procédure pénale du fait de l’absence d’information des autorités judiciaires des mises en garde à vue et falsifications des dates réelles d’arrestation ;
- le non respect de l’article 13 bis du Code de procédure pénale pour le refus de présentation des détenus à la visite médicale lors de la garde à vue ou lors de l’instruction, malgré la demande de la défense et l’évidence de sévices ;
- le non respect de l’article 13 pour non consignation des dates et heures précises des débuts et fins d’interrogatoires ;
- le non respect de l’article 11 du Code de procédure pénale qui interdit à la police toute action d’instruction en dehors des cas de flagrants délits ou d’ordre écrit de l’autorité judiciaire, puisqu’aucun des détenus n’est inculpé selon la procédure du flagrant délit et que les procès verbaux de l’enquêteur préliminaire confirment leur déroulement et les arrestations entre le 21 et le 23 février sans information ni instruction de justice.
2. Témoignage sur le comportement d’impunité d’agents de la police
"Tunis, le 11 avril 1996
De la part de Zohra Mahfoudhi, 64 ans, mère du détenu Ahmed Taboubi - Prison civile de Tunis 796/17389 (détenu de droit commun)

(...) Monsieur le Président de la Ligue tunisisenne de défense des droits de l'Homme (LDTH),
(...) Sur ordre du poste de police de la cité Hélal et dans la matinée du 19 mars 1996, mon fils Ahmed Ben Salah Zamel Taboubi a été pourchassé dans la cité par des agents en civil dont le dénommé Abdelhamid M’Barki ayant des inimitiés avec mon fils est à l’origine de cette arrestation.
(...) Dès que mon fils a été arrêté, en pleine place publique, il a été complètement dénudé, battu et maltraité d’une façon indescriptible dont à plusieurs reprises l’introduction d’une matraque dans son anus. Après cela, dans la cité, des habitants du quartier, ceux en particulier ayant des inimitiés avec lui, ont été appélés sur ordre des agents à le frapper et à lui cracher dessus, les accompagnant de comportements que je ne pourrais décrire.
(...) Ma plainte ne vise pas à défendre mon fils pour lequel la justice tranchera, mais à dénoncer l’humiliation dont il a fait l’objet et l’acharnement qui en est arrivé au point de le jeter à demi conscient en voiture de police, pour rouler quelques mètres, puis le jeter comme une bête sur la chaussée, de le reprendre comme un sac pour répéter le même manège à plusieurs reprises alors qu’il baignait inconscient dans son sang.

(...) Monsieur le Président, au nom de l’Etat de droit de cette ère nouvelle, je vous prie de bien vouloir examiner cette situation."
(extraits traduits)
3. Le harcèlement des familles
Une pratique nouvelle a vu le jour depuis le début des années 1990 : le harcèlement des familles et plus particulièrement des épouses des détenus, des exilés ou de ceux qui sont recherchés par la police.
Des centaines d’épouses, de frères et soeurs, de pères et mères ont été maltraités, terrorisés, arrêtés, interrogés, torturés et/ou même parfois condamnés, à l'issue de procès inéquitables, à des peines de prison allant jusqu'à 9 et 10 ans... pour appartenance à une "association de malfaiteurs". Leur seul problème est d’avoir un lien de parenté avec un opposant ! Voici quelques exemples à titre indicatif :
3-1. Le cas de Madame Fatma Jemili, épouse de Mohamed Najeh (condamné en 1993 à 10 ans de prison par défaut dans un procès d’Ennahdha), réfugié politique en Allemagne.
Mme Jemili a été victime, pendant des années, de torture psychologique et physique. Elle a été arrêtée par la police à plusieurs reprises depuis que son mari a quitté la Tunisie, le 9 janvier 1992. Quand les agents de la Sécurité d’Etat sont venus la première fois chez elle pour arrêter son mari, elle s’était déjà cachée chez son beau-père. Les agents ont passé la nuit chez elle. Ils ont volé des vêtements de son mari, des bijoux et ont confisqué son passeport. Quand elle a été arrêtée le lendemain et conduite aux locaux de la police à Bouchoucha, elle a été suspendue entièrement nue et tabassée sur toutes les parties du corps par plusieurs agents. Cette séance de torture a eu lieu en présence de détenus connaissant son mari. Ensuite, un agent l’a prise de façon à ce que son corps soit placé horizontalement sur ses mains. Il l’a tournée à plusieurs reprises puis jetée par terre. Elle a perdu connaissance ; c’est uniquement à ce moment-là qu’ils ont arrêté de la torturer.
Quand elle s’est adressée plus tard à la LTDH pour déposer une plainte, elle a été arrêtée de nouveau devant le local de la Ligue et conduite à l’un des postes de police de la capitale où elle a passé une journée entière au cours de laquelle les agents l’ont maltraitée, insultée, menacée.
Les perquisitions se faisaient de jour et de nuit pendant toute la période allant de janvier 1992 au mois de mars 1997, alors que chez elle, il n’y avait que ses trois enfants (Ahmed 4 ans, Arossa 9 ans et Myriam 10 ans) et sa belle-mère, son beau-père ayant été condamné pour avoir remis une somme d’argent à l’épouse d’un exilé appartenant au parti En Nahdha. De plus, Mme Jemili était soumise à une surveillance administrative illégale. Depuis 1996, elle se rend deux fois par mois aux locaux de la police rue du 18 janvier où elle subit chaque fois un interrogatoire.
3-2. Le cas de Madame Souad Boukhris épouse Abdelwaheb Boukhris.

Mère de trois filles (9, 13 et 15 ans), Mme Boukhris a subi depuis 1992 et jusqu'en 1997 différentes formes de harcèlement. Plus d’une fois, elle a été arrêtée et conduite par des agents aux locaux de la police politique rue du 18 janvier. Une vingtaine d’agents lui ont arraché ses vêtements. Une fois nue, ils se sont mis à lui donner des coups sur toutes les parties du corps en l’insultant, en la traitant de prostituée. Ils l’ont menacée de la violer si elle ne disait pas tout ce qu’elle savait sur son mari. Les agents ont même utilisé les chocs électriques pour lui arracher des aveux concernant le lieu où se trouvait son mari. Quand elle s’est évanouie et n’a pu reprendre conscience, les agents ont arrêté de la torturer. Ils l’ont même supplié de leur donner le nom de son médecin, convaincus que son état était grave. A moitié consciente, elle a demandé à ce qu’on l’emmène chez elle. Les agents ont chargé un taxi de le faire. Chez elle, la victime s’est rendue compte qu’elle ne portait pas de sous-vêtements. De plus, Mme Boukhris a été contrainte de demander le divorce deux fois. Si la procédure n’a pas abouti, c’est parce qu’il n’y a pas eu respect des formes. Mme Boukhris n’est pas la seule épouse à avoir demandé le divorce sous la menace de la police.
Les exemples sont nombreux : Mme Samira Ben Salah épouse d’un exilé politique en Allemagne, l’épouse de Jamil Alila, exilé politique à Vienne...
Madame Boukhris a été tellement terrorisée qu’elle remettait toutes les lettres qui lui parvenaient de son mari à la police. Elle dit avoir toujours eu peur que ses filles soient violées par les agents !
3-3. Le cas de la famille Hamrouni.
Monsieur Abderkerim Hamrouni, âgé de 62 ans, et certains membres de sa famille ont été harcelés, maltraités et même torturés par la police uniquement à cause de leur lien de parenté avec Hatem et Nabil, qui purgent une peine de 12 ans de prison pour appartenance à En Nahdha, et Taoufik, exilé politique en Allemagne depuis 1992.
Parce qu’il est le père de ces trois jeunes, M. Abdelkarim Hamrouni a été arrêté à la fin de l’année 1995 et détenu 15 jours dans les locaux du ministère de l’Intérieur. Pendant sa détention, il a été torturé.
M. Hamrouni a de nouveau été arrêté en juin 1996. Il a subi plusieurs sortes de tortures physiques et morales. Pendant les séances de torture, les agents insultaient la victime, la traitant de "nègre", "capable de supporter tous les mauvais traitements" ! Sa fille Lamia a été arrêtée en même temps que lui, a été torturée en sa présence, menacée de viol, traitée de prostituée... Les agents continuant, d’un autre côté, de torturer M. Hamrouni en présence de sa fille. L’objectif des agents n’était autre que de savoir qui avait envoyé une copie du jugement rendu contre Taoufik à ce dernier pour qu’il obtienne le statut de réfugié politique en Allemagne. Pour éviter à son père plus de souffrances, Lamia a dû reconnaître l’avoir fait.
Depuis elle a été régulièrement convoquée aux locaux de la Sécurité d’Etat où elle est à chaque fois soumise à un interrogatoire sur son frère Taoufik, ses dernières nouvelles, ses lettres...
Notons que M. Hamrouni a dû subir une opération après sa libération en raison d’une hémorragie au niveau de la tête due à un choc durant les séances de torture. Il garde encore des séquelles graves : maux de tête continus, état mélancolique...
Ce sont là quelques exemples de tortures et mauvais traitements subis par les familles des exilés politiques. Certaines épouses, pour fuir la répression, ont tenté de rejoindre leurs époux à l’étranger. Elles ont été arrêtées et condamnées à des peines de prison allant jusqu'à 9 ans !
4. La torture dans les prisons
La torture n’est pas pratiquée uniquement dans les locaux de la police, mais également dans les prisons. Nombreux sont les détenus qui y ont été victimes de torture et de mauvais traitements. Voici quelques exemples à titre indicatif.
- Le cas de Mohamed Hédi Sassi condamné pour appartenance au PCOT.
Pour n’avoir pas salué un gardien, le 18 juin 1994, Mohamed Hédi Sassi a été giflé par un agent, Ali Chouchane, qui a ensuite donné l’ordre à ses subalternes de le "corriger". Ceux-ci l’ont tabassé sur toutes les parties du corps puis l’ont isolé dans une cellule. Ils lui ont enchaîné les pieds. Malgré ses vomissements et son évanouissement, Mohamed Hédi n’a pas été secouru. Il a été obligé de faire ses besoins sur place. Quand il a été traduit le lendemain devant le Conseil de discipline (présidé par le directeur de prison), on lui a infligé une peine de 10 jours de cachot. Malgré son état de santé, il est resté 10 jours enchaîné dans la cellule alors que les autres détenus punis ne l’étaient pas. On lui donnait uniquement la moitié d’un pain pendant toute cette période et on refusait de le détacher même pour qu’il fasse ses besoins. Le 15 mars 1995, Mohamed Hédi a de nouveau été torturé par un groupe de gardiens à la prison civile de Tunis. Les gardiens l’ont tabassé sur toutes les parties du corps. Quand il est tombé, certains sont montés sur son visage et sur d’autres parties du corps avec leurs gros souliers. Il a été mis au cachot pendant 10 jours, au cours desquels il était déshabillé, privé de couverture et de matelas. Il était également privé de nourriture. Quand ils lui ont rendu visite quelques jours plus tard, ses avocats ont pu remarquer l’existence de séquelles. Ils ont demandé une expertise médicale et l’ouverture d’une enquête. La plainte déposée le 13 avril 1995 sous le n°99363 au Parquet du Tribunal de 1e instance de Tunis est restée sans suite.
Quand le cas de Mohamed Hédi Sassi a été évoqué lors d’un Conseil national de la LTDH, des pressions ont été exercées sur les membres du Bureau directeur pour que son nom ne soit pas mentionné dans la déclaration de la LTDH. Le Président de la République a ordonné une enquête. Pendant quelque temps, les mauvais traitements ont cessé dans les prisons.
La torture est également pratiquée dans les locaux de la police (voir supra), où elle est une pratique constante. Plusieurs décès à la suite de sévices ont été enregistrés ces dernières années, essentiellement parmi les personnes soupçonnées d’appartenance au parti En Nahdha. Des rapports des avocats prouvent que personne n’est a l’abri de ces pratiques.
5. Le cas de Maître Néjib Hosni.
Maître Néjib Hosni, défenseur des droits de l'Homme, a été condamné par la Cour criminelle du Kef à huit ans de prison ferme et cinq ans de radiation du barreau pour "falsification d’un acte de vente". Le procès a eu lieu alors que les avocats de Me Hosni avaient décidé de se retirer de la salle d’audience pour protester contre le non respect des droits de la défense.
Au moment où il purgeait sa peine, Néjib Hosni a été transféré, le 29 octobre 1995, de la prison du Kef, à la prison civile de Tunis. Le 8 novembre 1995, un groupe d’agents de la Sûreté d’Etat l’a conduit au ministère de l’Intérieur. Il a été interrogé au sujet d’une personne qu’il ne connaît pas et qui, selon les agents, lui aurait remis des armes. Quand il a nié, les agents l’ont suspendu dans la position du "poulet rôti" et l’ont tabassé sur toutes les parties du corps. Le lendemain, la méthode utilisée était les chocs électriques à deux reprises jusqu'à l’évanouissement. L’un des agents appelé "El casse" appuyait tellement sur les pieds de Me Néjib Hosni qu’il a failli lui causer des fractures. Me Hosni dit que cette méthode lui causait des douleurs atroces. Pendant les huit jours qu’il a passés au ministère de l’Intérieur, Me Nejib Hosni a été l’objet de torture selon différentes méthodes : position du "poulet rôti", frappe de toutes les parties du corps par de gros batons et des cravaches. Les derniers jours, Me Nejib Hosni a été totalement déshabillé et mis dans une cellule. Les agents passaient les uns après les autres pour l’insulter, l’humilier et se moquer de lui. Toutes les questions posées à la victime portaient sur ses activités professionnelles. Le Conseil de l’ordre des avocats, alerté, a demandé au Ministre de l’Intérieur une enquête. Il n’y a eu ni enquête administrative ni enquête judiciaire. Les tortionnaires de Me Nejib Hosni tout comme leurs collègues coupables des mêmes délits, ont jouit d’une impunité totale.
6. Les cas de Abdelmoumen Belanes, Bechir Abid et Ali Jellouli.
Arrêtés entre le 28 et le 30 novembre 1995, pour appartenance au Parti Communiste Ouvrier de Tunisie (PCOT), ils n’ont été traduits devant le juge d’instruction et transférés à la prison civile de Tunis que le 17 décembre 1995 et ce malgré la demande d’expertise présentée par les avocats au Parquet le
2 décembre 1995. Un télégramme a été également adressé par les avocats au Ministre de l’Intérieur lui demandant d’intervenir pour faire respecter la loi. Pendant toute la période de la garde à vue, ces trois jeunes ont été torturés d’une manière continue : "poulet- rôti", chocs électriques sur les parties sensibles du corps, privation de sommeil pendant huit jours pour certains (les agents utilisent une aiguille pour piquer la victime dans la nuque à chaque fois qu’elle essaie de dormir), "la baignoire" (le corps suspendu au plafond par une chaîne, on le descend dans une baignoire pleine d’eau, quand la victime avale beaucoup d’eau on sort le corps et on recommence plusieurs fois de suite). Abdelmoumen Belanes et ses camarades ont vomi du sang. Belanes a continué à boîter pendant des mois. Quand il a bénéficié d’une liberté provisoire et a pu consulter des spécialistes, ces derniers lui ont expliqué que les résultats ne pouvaient être très bons : les agents pendant la séance de torture dans la position du "poulet- rôti" ont écrasé les pieds de la victime sur le sol à l’aide de leurs gros souliers, laissant des traces encore visibles.
Aucune expertise médicale n’a été ordonnée ni par le parquet ni par le juge d’instruction. Aucune enquête n’a été ordonnée non plus.

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